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Simone Veil : « il faut cultiver la différence »

Simone Veil fut la cinquième femme à devenir académicienne[Capture d'écran Youtube]

Le 20 novembre 2008, Simone Veil était élue à l’Académie française, dès le premier tour de scrutin avec 22 voix sur 29 votants. Succédant à Pierre Messner, elle devenait alors, après Marguerite Yourcenar, Jacqueline de Romilly, Helène Carrrère d’Encausse et Florence Delay, la cinquième femme à devenir académicienne. Philippe Labro a recueilli les confidences de l’ancienne ministre et présidente du premier Parlement européen.

 

Archives – Article publié le vendredi 21 novembre 2008

 

Philippe Labro : Que représente pour vous l’Académie française?

Simone Veil : L’institution est importante, non seulement pour ceux qui y sont nommés, mais aussi pour entretenir la littérature qui fait la renommée de la France. On me dit que c’est une maison très chaleureuse, sympathique et intéressante, même si l’on ne se réunit que le jeudi. Le fait que l’Académie ait été créée en France et non dans un autre pays révèle notre besoin de s’exprimer au travers de la littérature. Nous avons toujours eu des institutions officielles plus tôt qu’ailleurs, parce qu’ici l’Etat est très important.

 

P.L. : Vous êtes d’autant plus concernée par la littérature que votre autobiographie, Une vie, a été un grand succès.

S.V. : Je ne m’y attendais pas du tout, d’autant qu’il s’agit d’un ouvrage écrit sur commande, en six mois. On m’a presque harcelée pour que je l’écrive. Je n’espérais pas plus de 20 000 exemplaires et mon éditeur non plus. Je crois que le succès est lié au fait que j’ai eu une vie, non pas décousue, mais très diversifiée, ce qui est assez rare. Lorsque je fais mon CV, je suis étonnée des nombreuses activités que j’ai faites, des épreuves et expériences.

Que ce soit comme présidente du Parlement européen ou comme ministre de la Santé – un poste qui engage peu à l’étranger mais qui permet de nouer des contacts –, je suis allée dans presque tous les pays du monde. Je me souviens qu’en 1974, j’étais la première à me rendre en Chine, dans un pays qui n’a rien à voir avec aujourd’hui. On y confondait les hommes et les femmes ! Valéry Giscard d’Estaing m’a aussi souvent emmenée avec lui, notamment au Brésil.

 

P. L. : Précisément, sous la Coupole, vous retrouverez Valéry Giscard d’Estaing.

S.V. : J’ai beaucoup d’admiration pour lui, notamment pour tout ce qu’il a fait pour l’Europe. Je regrette d’ailleurs que son projet de Constitution européenne – une très bonne voie – ait été rejeté par référendum. J’ai du respect pour sa manière de présenter les dossiers avec un style clair, synthétique, et des mots choisis. Auparavant, son élection à la présidence de la République a été une rupture, car il avait une conception très large de l’Europe. Le général de Gaulle avait engagé les choses avec l’Allemagne, mais de manière différente. Sans avoir une conception fédéraliste, Valéry Giscard d’Estaing voulait resserrer les liens entre pays.

 

P.L. : On va désormais vous présenter comme «Simone Veil, de l’Académie Française».

S.V. : C’est un sentiment bizarre, car je n’y ai jamais pensé. Ce n’est pas moi qui ai fait le choix de me présenter. Depuis quelques années, Hélène Carrère d’Encausse réfléchissait à cette proposition, il était donc impossible de refuser. Mais j’étais tellement étonnée que j’ai hésité jusqu’au dernier moment.

 

P.L. : Vous devenez également «immortelle», un mot qui doit avoir un sens particulier pour vous?

S.V. : Je vais être très franche. Au fond, comme tous les anciens déportés, notamment les Juifs, nous sommes restés «dans le camp». On vit beaucoup avec le camp. Souvent je me dis que ce sont les dernières choses auxquelles je penserai au moment ultime de ma vie. Entre déportés, on ne parle que de ça et mes meilleurs amis, les vrais, sont d’anciens déportés. Nous avons vécu tellement de choses abominables ensemble, comme le fait d’y avoir perdu nos parents. Avec ma sœur, déportée comme résistante, nous revenons souvent sur cette période.

Tout ça compte plus que l’Académie, plus que tout, à dire vrai. Mais je pense à mon père qui m’a élevée dans les livres et qui y tenait beaucoup. A 4 ans, il m’a par exemple donné à lire Montherlant, car il ne supportait pas les petits romans anglais de l’époque. Pour lui, c’est la qualité qui comptait ; de ce point de vue, voir sa fille entrer à l’Académie française aurait été quelque chose de très important.

 

Vidéo : interview de Simone Veil

 

 

P.L. : Ces années 1940-1944 dont vous parlez, sont-elles ce qu’il y a de plus fort dans vos souvenirs?

S.V. : Oui, à 15-16 ans, quand on a vécu cela, ça reste très fort. Au camp, j’ai eu de la chance.

J’étais jeune, et ai été déportée vite, après mon arrestation à Nice. A la différence de beaucoup d’autres, comme j’étais allée à la plage à Nice, j’avais bonne mine. C’est mon physique qui m’a permis de survivre. Une kapo m’a dit un jour : «Tu es trop jolie pour mourir ici, je t’envoie dans un camp plus protégé et moins dur.» Il y a des tournants de destin comme cela. On a mis mon père et mon frère dans un convoi vers la Lituanie. Je ne les ai jamais revus. Il n’existe aucune trace d’eux.

 

P.L. : Comment avez-vous vécu une autre période clé de votre carrière, le vote de la loi sur l’IVG en 1974 qui porte votre nom?

S.V. : Cette période n’est pas simple à évoquer car le moment a été tellement dur, presque horrible. Valéry Giscard d’Estaing y tenait beaucoup, car c’était un engagement de campagne. La situation était d’autant plus injuste que les femmes aisées pouvaient avorter en Angleterre ou en Suisse. Certaines trouvaient même des médecins dans des cliniques françaises.

Mais l’engagement étant présidentiel, Jacques Chirac (Premier ministre, ndlr) a voulu réussir et il m’a donc beaucoup soutenue. Je me souviens d’une nuit très longue de travail. En rentrant chez moi à 4 heures du matin, j’ai trouvé un bouquet de fleurs qu’il m’avait envoyé, comme jamais je n’en avais reçu.

 

P.L. : Vous vous souvenez bien de ce vote à l’Assemblée?

S.V. : Je savais que la gauche voterait pour, mais nous avions besoin de quelques voix de la droite ; c’est pourquoi nous devons beaucoup à Claudius Petit. C’était un député catholique dont je connaissais la grande influence. Quand il a commencé son discours, je ne savais pas ce qu’il allait dire mais il a été un vrai déclencheur. Il a dit : «Si une proche était concernée, j’essaierais de la dissuader d’avorter, mais je voterai le texte, car je sais combien cela peut aider certaines femmes!» Au final, le vote a été plus difficile que la loi Neuwirth un peu plus tôt pour la contraception, qui est une liberté pour la femme. C’est certes un tournant de société inouï, mais il est affligeant de voir que malgré les facilités pour accéder à cette contraception, il y a encore beaucoup trop d’avortements de nos jours.

 

Vidéo : Vote de la loi sur l’avortement

 

 

P.L. : Le président Sarkozy vous a confié une mission sur le préambule de la constitution. Un sujet qui revient souvent est celui de la faible représentation des minorités. Qu’en pensez-vous?

S.V. : Je pense que la vie politique est une sorte de caste, dans laquelle chacun défend ce qu’il a. Quelqu’un qui a vécu dans les banlieues, qui a eu moins de chance et a fait moins de rencontres, en voyant les barrières, préfère s’orienter différemment. La politique reste un univers très fermé également aux femmes. Les textes adoptés, sur la parité notamment, sont mal appliqués. On a fait beaucoup de progrès pour les femmes, mais ça n’avance pas assez vite.

 

P.L. : Vous êtes très populaire auprès d’elles.

S.V. : Je reçois énormément de courriers de personnes, surtout de femmes. Elles savent que je suis très solidaire d’elles. Ça me fait plaisir car je me suis beaucoup battue pour elles. Une femme cherchera toujours une femme car elle comprendra ses difficultés. Mais il y a deux façons d’être féministe; «à la Simone de Beauvoir» en se disant qu’il ne doit pas y avoir de différence entre les hommes et les femmes. Je pense au contraire qu’il faut reconnaître ces différences, car la société s’enrichit du fait que les hommes et les femmes voient le monde différemment. Je suis mariée depuis 62ans, mais avec mon mari je ne vois pas toujours les choses de la même manière. Je pense qu’il faut cultiver la différence. C’est une richesse.

 

P.L. : Votre approche de la vie est-elle pessimiste?

S.V. : Pas du tout, mais je ne suis pas dupe, et j’ai un jugement très ouvert sur les gens. Vous savez, quand j’ouvre mes volets, le matin, sur les Invalides, et que le soleil se lève en face, la couleur est magnifique. C’est un moment magique que je photographie régulièrement. Je le fais comme ça, pour moi, pour le garder, ce moment. Paris est une ville magnifique et je suis très privilégiée d’y habiter. Je ne me lasse pas de la couleur du ciel, bleu nuit selon les jours et les heures. On ne se lasse pas de la vie.

 

Biographie

13 juillet 1927: Naissance à Nice.

15 avril 1944: Arrivée au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau (matricule 78 651). Elle en réchappera avec sa sœur Madeleine mais perdra sa mère, décédée du typhus au camp de Bergen-Belsen.

26 octobre 1946: Mariage avec Antoine Veil; ils auront trois enfants.

1974 : Entrée dans le gouvernement Chirac après une carrière de magistrate.

17 janvier 1975: Vote de la loi Veil qui dépénalise l’avortement.

19 juillet 1979: Election à la présidence du Parlement européen.

Mars 1993: Nomination comme ministre d’Etat et des Affaires sociales dans le gouvernement d’Edouard Balladur.

20 novembre 2008: Election à l’Académie française.

 

Portrait : les salutations distinguées d’Antoine Veil

Antoine Veil, mari de Simone Veil, est mort

Simone Veil décorée  

 

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