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Youssou N’Dour, la voix de l’Afrique

Youssou N'Dour en 2009 [CC/Kotoviski]

En l’espace de trente ans, «l’enfant chéri de la Médina», comme le surnomment avec tendresse et admiration ses compatriotes, est devenu une star à la renommée internationale..

 

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Youssou N’Dour, un être rare pour tous ceux qui le connaissent, personnage presque intouchable pour le grand public qui lui voue une admiration sans bornes. Mais Youssou N’Dour, c’est d’abord une voix qui émeut, doublée d’une incroyable science musicale, qui en fait un touche- à-tout de génie. Chouchou des médias, le citoyen idéal de la médina de Dakar, aîné de sa famille nombreuse, mène depuis trente ans sa «géopolitique de la musique» entre deux mondes, l’Afrique et l’Occident. Homme de la mondialisation ouverte, il a su faire de ses instruments de musique des instruments au service de toutes les causes nobles.

Pourtant, s’il a accédé au rang de star internationale, notamment grâce à des collaborations européennes ou américaines, avec Neneh Cherry ou Peter Gabriel, il tient à rappeler que sa stratégie est d’abord panafricaine : «Ce que nous partageons, nous, Africains, est plus important que ce que l’on ne partage pas » avoue-t-il. Pour le chanteur, l’avenir du continent noir est une priorité.

 

Vidéo : Concert de Youssou N’Dour

 

 

Une vocation

Depuis son premier concert à 13 ans comme choriste pour le Super Diamono de Dakar, le chanteur a fait du chemin. Déjà apprécié à l’époque pour sa voix d’or, le jeune Youssou était parti en tournée en Gambie contre l’avis de son père, un ferrailleur de la Médina qu’il a finalement réussi à convaincre de sa vocation artistique. A l’Institut des arts de Dakar, il s’initie au solfège, parfait sa culture musicale, puis sillonne les clubs du Sénégal avec plusieurs groupes avant de connaître le succès avec le Super Etoile de Dakar.

Très vite, son charisme fait de lui le nouvel ambassadeur de la musique sénégalaise. Un succès qui ne tardera pas à franchir les frontières. En 1984, l’artiste fait la connaissance de Peter Gabriel, qui tient à rencontrer ce musicien surdoué. Les deux hommes se lient vite d’amitié et entament quelques mois plus tard une tournée triomphale aux Etats-Unis. «Il est pour moi une source d’inspiration, pas seulement comme artiste, mais aussi comme individu», a déclaré un jour l’ancien chanteur du groupe de rock Genesis à propos de son ami.

Youssou N’Dour est sur tous les fronts. Véritable bourreau de travail, le chanteur et percussionniste «n’a dû partir en vacances que deux fois en trente ans de carrière et seulement pour quelques jours», révèle Michelle Lahana, son manager depuis la fin des années 1980. Le musicien surdoué ne se contente plus de chanter en langue wolof ; il enrichit son répertoire d’une coloration plus pop, au fil des tournées et des collaborations avec les plus grands artistes, comme Manu Dibango, Stevie Wonder, Sting et surtout Neneh Cherry. Grâce à son duo en 1992 avec la chanteuse sur le mythique « Seven Seconds », qui s’écoule à plus d’un million et demi d’exemplaires, il parvient à toucher un public sans précédent pour un artiste africain.

 

Vidéo : « Seven seconds » de Youssou N’Dour et Neneh Cherry

 

 

Reconnaissance mondiale

Depuis la fin des années 1990, l’artiste a multiplié les expériences musicales. S’il n’avait pas été chanteur, Youssou N’Dour aurait été footballeur. Passionné de ballon rond, le chanteur a un faible pour l’avant-centre ivoirien Didier Drogba, à qui il a dédié une chanson. En 1998, Michel Platini a retenu sa chanson « La cour des grands » pour en faire l’hymne de la Coupe du monde de football en France. Un titre qu’il a interprété en duo avec la chanteuse belge Axelle Red lors de la cérémonie d’ouverture, devant des millions de téléspectateurs.

Après avoir malheureusement manqué l’occasion du Roi lion de Walt Disney, il réalise en 1998 la joyeuse musique de Kirikou et la sorcière, le dessin animé à succès du réalisateur Michel Ocelot,  dont les chansons deviendront un must chez les moins de 10 ans.

 

Vidéo : « Kirikou n'est pas grand mais il est vaillant »

 

 

Causes et engagements

Désigné en 1999 «artiste africain du siècle», Youssou N’Dour a toujours utilisé son talent au service de son engagement, remplissant les stades pour défendre les causes sociales et humanitaires qui lui tiennent à cœur, comme la libération de Nelson Mandela, la lutte contre le paludisme ou, plus récemment, le drame du Darfour. Quitte à faire passer sa carrière au second plan. En 2003, cet ambassadeur des Nations unies, d’Amnesty International, de l’Unicef et du Bureau international du travail n’a pas hésité à annuler sa tournée américaine pour protester contre l’intervention en Irak. Un geste fort qui fit quelques vagues. Las de n’entendre parler de son continent qu’en termes tragiques, l’artiste a même créé sa propre fondation pour venir en aide aux enfants défavorisés et montrer au monde que la situation de l’Afrique ne relève pas de la fatalité.

 

Mémoire africaine

A la rentrée 2007, Youssou N’Dour est revenu avec Rokku Mi Rokka («Donne et prends» en français), un huitième album international «à la recherche des racines» du nord de son pays et de l’ethnie peule. L’artiste y poursuit son périple au cœur de la tradition musicale sénégalaise. Inspiré par la musique nord-sénégalaise, le maître du «mbalax» y greffe son style très personnel. Une pointe d’électro, une note de blues, une touche de clavier, les musiques modernes s’associent à la kora ou au n’goni (harpe-luth) de sa terre natale. Une façon pour cet artiste international de rappeler que toutes les cultures s’influencent.

Sur cet album plane l’ombre de la légende malienne du blues, Ali Farka Touré, décédé en 2006 et à qui Youssou N’Dour a souhaité rendre hommage. « 4-4-44 » célèbre l’indépendance du Sénégal, « Sama Gammu » offre un conte sur la tolérance interethnique, « Wake up it’s Africa Calling » est un vibrant message sur l’Afrique moderne. Véritable événement, ce dernier morceau marque une nouvelle collaboration avec Neneh Cherry, treize ans après « Seven Seconds ». Côté musique, l’enfant chéri de la médina s’est entouré de ses fidèles compagnons de route : le bassiste Habib Faye, le guitariste Papa Oumar Ngom et les musiciens de son groupe des années 1980, Super Etoile. Sans nostalgie, résolument tourné vers le futur, Youssou N’Dour rend hommage avec talent à la tolérance et à son pays

 

Vidéo : « Wake up it’s Africa Calling » de Youssou N’Dour et Neneh Cherry

 

 

La même année, le chanteur sénégalais a fait ses débuts sur les écrans dans Amazing Grace du réalisateur britannique Michael Apted. Le film, qui raconte la tragédie de la traite négrière au XVIIIe siècle en Angleterre. Youssou N’Dour y joue le rôle d’un ancien esclave d’origine nigériane devenu poète. En 2008, dans un genre de road movie musical, Retour à Gorée, œuvre édifiante du réalisateur Pierre-Yves Borgeaud, Youssou N’Dour joue son propre rôle fantasmé : il est parti sur les traces des esclaves noirs et de la musique qu’ils ont inventée, le jazz. Son défi : rapporter en Afrique un répertoire de jazz pour le chanter à Gorée même, l’île qui est devenue le symbole de la traite négrière, dans un hommage aux victimes de l’esclavage. Guidé dans sa quête par le pianiste Moncef Genoud, Youssou N’Dour, parcourant les Etats-Unis et l’Europe, se dévoile aux spectateurs. C’est que la diaspora africaine et le jazz peuvent être partout.

 

Vidéo : Bande-annonce de Retour à Gorée

 

 

Accompagnés par des musiciens d’exception, ils croiseront de nombreuses personnalités : au fil de rencontres, de concerts et de discussions sur l’esclavage se révèle une musique qui transcende les cultures. D’Atlanta à la Nouvelle-Orléans, de New York à Dakar, en passant par le Luxembourg, les chansons se transforment, s’imprègnent de jazz et de gospel, avant le retour final en Afrique. «J’ai découvert un humaniste, un homme humble et très effacé, qui veut vraiment se consacrer à son continent», raconte Camille Jouhair, distributeur du film.

 

La musique comme une arme politique

Youssou N’Dour a organisé très jeune, dès 1985, un concert pour la libération de Nelson Mandela au Stade de l’Amitié de Dakar. Il a également chapeauté plusieurs concerts au profit de l’organisation humanitaire Amnesty International. Ambassadeur de bonne volonté pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et pour l’UNICEF, il est également l’ambassadeur au Bureau international du travail.

Après avoir participé en 2004 au disque Agir Réagir en faveur des sinistrés du tremblement de terre qui a secoué, en 2007, la région d’Al-Hoceima, au Maroc, Youssou N’Dour collabore, avec d’autres artistes engagés, à la réalisation de Make Some Noise, un album de reprises de titres de John Lennon, afin de mobiliser le public pour le Darfour.

 

Vidéo : Reprise de « Jealous Guy » de John Lennon par Youssou N’Dour

 

 

En 2010, Dakar-Kingston, son album reggae, exprime à merveille la recherche qui l’anime, celle d’un universalisme non délié de ses racines. Chantre de l’effacement de la dette africaine et guerrier de la lutte contre le fléau du paludisme, Youssou N’Dour use du reggae comme d’une nouvelle arme politique, une arme douce qui réveille les consciences des citoyens du monde. Cette arme qu’a d’ailleurs toujours été le rastafarisme, mouvement de pensée et mode de vie tendu vers l’unité et la paix, né en Jamaïque et étendu par- delà l’Atlantique.

Avec cet album, il rend hommage au plus grand des rastas. Taillé dans un style reggae mêlé de percussions africaines, le disque est le fruit de la collaboration du «roi du mbalax» avec Tyrone Downie (vieil ami de Bob Marley et arrangeur de Tiken Jah Fakoly et Tonton David) et Earl «Chinna» Smith (guitariste, collaborateur notamment de Burning Spear). Au long de sa traversée de Dakar-Kingston, l’auditeur croisera le chanteur de reggae Patrice, la chanteuse pop Ayo et le groupe de reggae roots jamaïcain Morgan Heritage, tous amis de Youssou embarqués dans l’aventure pour des participations vocales, sans oublier Yusuf Islam (Cat Stevens) à l’écriture du titre « Marley ».

 

Vidéo : « Marley »

 

 

Mais Youssou N’Dour ne fait pas pour autant allégeance à un genre, comme un Alpha Blondy ou un Tiken Jah Fakoly. Car il n’est pas l’homme d’un seul combat. De confession musulmane, membre de la confrérie mouride du Sénégal, il avait fait de son appartenance à la religion de Mahomet un étendard de la tolérance dans son précédent album, Egypt (2003) où il était parti sur les traces des chants mystiques des mourides. Enregistré avec l’aide d’un grand orchestre égyptien et de son chef, Fathi Salama, cet hymne remporta un Grammy Award pour le meilleur disque de musique du monde contemporaine aux Etats-Unis, en 2005. A cheikh Amadou Bamba, fondateur de la confrérie mouride, il déclarait : «Tu m’as appris le pardon et la compassion, le rejet de la violence et de l’arrogance.»

L’immense originalité de Youssou N’Dour se dévoile dans l’utilisation de ces diverses influences qui viennent inspirer sa musique sans jamais la corrompre ou la détourner de sa voie. Descendant de griots africains, il aime à rappeler que ce qui les caractérise est d’être entièrement animés, autant dans le visage que les mains. Sting, Mamadou Konté ou Bob Marley : les amitiés de Youssou N’Dour sont innombrables et aussi variées que les paysages colorés par sa musique.

 

Vidéo : « Tijaniyya » de Youssou N’Dour

 

 

Engagement politique

En 2012 Youssou N’Dour a endossé le rôle de porte-voix de l’opposition au président Abdoulaye Wade. A 85 ans, ce dernier brigue un troisième mandat, ce que lui interdit en principe la Constitution sénégalaise. Youssou N’Dour a quant à lui vu sa candidature écartée, officiellement pour n’avoir pas présenté un nombre suffisant de signatures. Mais le chanteur reste persuadé que le pouvoir a voulu se débarrasser d’un concurrent trop dangereux : « Le pouvoir a peur de moi. Il s’agit d’une décision politique. L’argument selon lequel j’avais un nombre insuffisant de signatures est ridicule. Je pense qu’ils ont été surpris par ma candidature. Au Sénégal, il n’existe pas d’institut de sondage, mais les renseignements généraux font des études. Et apparemment, nous étions très bien placés pour les élections, voire majoritaires ».

Son engagement politique : « Je suis au Sénégal comme musicien et homme de culture depuis 35 ans, et ai été amené à parler avec mes dirigeants. Et dans mes chansons, il y a une démarche politique. Mais je me suis rendu compte que je n’étais pas écouté. Et j’ai vu que la démocratie dans mon pays était torpillée. [En 2010], j’ai donc monté le mouvement citoyen «Fekke ma ci bollé» [«Je suis là, donc, j’en fais partie», en wolof, ndlr] afin de contribuer à l’émergence d’un nouveau citoyen sénégalais, mieux informé. Des milliers de personnes ont compris mon message, et ont demandé à ce que je joue un rôle ».

Le 4 avril 2012, Youssou N’Dour était nommé ministre de la Culture et du Tourisme par Macky Sall, nouveau prédident du Sénégal. Suite au remaniement du gouvernement MBaye, Abdoul Aziz Mbaye lui succède au ministère de la Culture mais il conserve le portefeuille du Tourisme et des Loisirs.

 

Vidéo : Youssou N’Dour, « il fait rééquilibrer les relations entre l’Afrique et l’Europe »

 

 

Les pieds sur terre

Homme d’affaires avisé et réputé intraitable, ce père de sept enfants est aujourd’hui à la tête d’un véritable empire culturel qui emploie plus de 300 personnes. «Il a compris très tôt qu’il fallait mettre de l’argent de côté pour préparer l’après-scène», explique Benson Diakité – producteur à RFI et ancien manager de Salif Keita –, qui loue la «gentillesse» et la «disponibilité» du chanteur. Youssou N’Dour est propriétaire du Thiossane, le club de ses débuts et l’endroit qu’il «préfère au monde», depuis l’âge de 24 ans. Il dirige également avec son frère le label Jololi, sur lequel il signe les futurs cracks de la scène sénégalaise. Il possède sa propre société de production (Saprom), qui lutte contre le piratage, et son studio d’enregistrement, Xippi, sans oublier le groupe Futur Médias, qui rassemble notamment une radio et un quotidien, L’Observateur, lu chaque jour par plus de 60 000 Sénégalais.

Dernière initiative en date, le lancement en partenariat avec Benetton de Birima, une société de microcrédit dont le but est d’aider les producteurs ruraux du Sénégal, les entrepreneurs en herbe, les petits commerçants et les musiciens émergents. Ouvert à tous, ce fonds de crédit vise en particulier l’adhésion des femmes et des enfants. Youssou N’Dour a également fondé le Réseau des jeunes pour le développement, sa propre fondation à but non lucratif. Distribution de moustiquaires ou de bourses pour étudier, promotion de dépistage du sida : cet organisme multiplie les initiatives pour venir en aide aux jeunes les plus démunis et défendre leur droit à la protection et au développement.

 

Amoureux du Sénégal, Youssou N’Dour n’a jamais quitté sa terre natale. Selon Michelle Lahana, «il ne s’est jamais éloigné plus de deux mois de Dakar», son port d’attache, où l’artiste a élu domicile pour toujours.

 

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