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Saber Mansouri : "C’est la Montagne Blanche qui triomphe"

"Je suis né huit fois" est le premier roman de Saber Mansouri[Hermance Triay]

Saber Mansouri, historien, spécialiste de la Grèce Antique, signe un premier roman très remarqué en cette rentrée littéraire. "Je suis né huit fois" est à la fois le récit affectueux et incisif d'une jeunesse tunisienne, et aussi une réflexion sur des thématiques universelles au premier rang desquelles figure l'Histoire.

 

Le héros de ce roman est-il le jeune Massyre, ou la Montagne Blanche où il vit ?

Le rôle de la montagne est essentiel, en effet. Massyre est libre car il vit dans ce lieu, la Montagne Blanche, qui lui donne à vivre et à penser. Ce lieu est détenteur d’une grande histoire, universelle. Il a joué un rôle clé dans le destin de la Tunisie grâce à ses eaux, ses céréales, ses fruits et ses hommes.

C'est la montagne qui va permettre à Massyre d'exercer ses huit métiers, de développer ses qualités de débrouillardises et surtout de lui apporter une connaissance intime des hommes. In fine, c’est la Montagne Blanche qui triomphe, pas Massyre. 

 

Bien qu’immergé dans ce lieu très singulier de la Tunisie, ce roman a une portée universelle. Était-elle intentionnelle ?

C'était mon souci depuis l’origine. Je voulais donner à lire un roman à portée universelle. Si l’on transpose ce récit à la Drôme ou à l’Alsace des années 20 et 30, cela fonctionne parfaitement. Il suffit de remplacer l’imam par le curé.

Demeurent l’instituteur et la chèvre ! Pour celà, il m’a fallu naviguer entre deux écueils : l’autobiographie étroite et le roman national contemporain.

 

Auteur de plusieurs essais et travaux historiques, vous vous lancez dans le roman. Pourquoi ?

Chronologiquement, ce roman est en fait le premier texte que j’ai écrit, mais il m’a fallu des années pour l’achever. Pour comprendre ce passage de l’histoire au roman, j’aime utiliser l’image de la danse. 

J’éprouve désormais le sentiment de danser sur mes deux pieds, de mobiliser mon corps entier, de combler un manque. L’histoire est un art qui dit le passé. C’est un art événementiel bien différent du roman ou de la poésie qui disent l’humain.

Si l’on reprend les catégories d’Aristote, l’histoire touche au particulier et le roman et la poésie, à l’universel.

 

L’histoire n’est pourtant jamais loin. En filigrane se dégage une réflexion sur cette discipline… et sur ses limites

Devenu jeune homme, lorsque Massyre entre à la faculté d'histoire de l'université de Tunis, il n'apprend rien et traverse ces quatre années universitaires comme un fantôme. L’histoire devait être universelle, il est déçu et éprouve le sentiment d'avoir appris auprès des chèvres que des profs d’histoire.

Maurice Barrès, qui n’est pas mon maître à penser, a cette formule assez juste : « Pour faire une nation, il faut un cimetière et un enseignement de l’histoire ». On écrit l’histoire pour fabriquer une aventure collective qui tire sa légitimité de l’oubli de l’autre.

Dès lors, il devient difficile d'envisager l'histoire comme une science à portée universelle. Il suffit de regarder  comment on enseigne l’histoire. Donnez un manuel d’histoire iranien à un Saoudien. Donnez un manuel d’histoire français à un Sénégalais. Et inversement. Personne ne va s’y reconnaître.

 

Vous donnez à lire et à voir une Tunisie méconnue de ce côté-ci de la Méditerranée. Avez-vous pu vous affranchir de l’actualité récente ?

J’ai précisément voulu m’affranchir de l’actualité qui peut « couler » un roman et garder une certaine hauteur. La Tunisie est très libre. Elle est détentrice d’une grande histoire, très méditerranéenne. Ce pays a donné à la Méditerranée des hommes, une pensée et une culture. 

 

 

LE LIVRE : 

Massyre est né huit fois, mais son destin est unique. Son enfance a pour théâtre la Montagne Blanche, non loin du bleu de la Méditerranée, quelque part en Tunisie. Petit garçon, puis adolescent, moyennant quelques arrangements avec son instituteur, il y exerce tous les métiers possibles. « Suiveur » de chèvres, chasseur d’escargots, vendeur de fruits, d’eau, de sodas, de fripes et de vieux papiers… Autant d’activités qui forgent une personnalité aiguisée, curieuse et libre, happée un jour par la passion de l’histoire. Diplômé de l’université de Tunis, Massyre l’enseignera à son tour aux jeunes Tunisiens jusqu’à ce que son destin ne l’appelle ailleurs.

Qu’on ne se méprenne pas : « Je suis né huit fois » n’est pas le sempiternel récit, lu et relu, d’un jeune homme  s’arrachant aux pesanteurs patriarcales et religieuses qui seraient propres aux terres d’Islam. À rebours de tous les clichés, Saber Mansouri, dans ce premier roman parfaitement maîtrisé, donne à voir – avec profondeur, détachement et humour - le réel et l’énergie de son pays d’origine, loin de toute commisération ou mauvaise conscience post-coloniales. « Je suis né huit fois », enfin, ne saurait être réduit à une allégorie du destin de la Tunisie. L’histoire construite et nerveuse que raconte Saber Mansouri, au travers de l’attachant Massyre, est éminemment universelle. C’est ce qui en fait la force et surtout le charme.

Saber Mansouri, "Je suis né huit fois", Paris : Le Seuil, 2013, 328 pages, 20 euros.

 

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