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Riad Sattouf : « je dois ce que je suis aux Tintin de ma grand-mère bretonne»

Riad Sattouf publie le tome 5 de «L'arabe du futur» ce 5 novembre 2020 aux éditions Allary Riad Sattouf publie le tome 5 de «L'arabe du futur» ce 5 novembre 2020 aux éditions Allary[© Riad Sattouf / Allary éditions © JOEL SAGET / AFP]

Riad Sattouf poursuit son autobiographie en BD avec la sortie très attendue du tome 5 de «L’Arabe du futur» ce 5 novembre, maintenue malgré la fermeture des librairies. Rencontre avec un auteur qui porte un regard aiguisé sur le monde et notre actualité.

Votre dessin sur Instagram en faveur des librairies a été très relayé sur les réseaux sociaux. Avez-vous un peu d’espoir quant à leur réouverture ?

Il est même devenu le plus viral de tous mes posts sur Instagram. Cette année, j’ai sorti deux livres publiés en période de confinement. Le cinquième volume des « Cahiers d’Esther » prévu en mars a été repoussé car à l’époque, sans masque et sans gel hydroalcoolique, les conditions sanitaires ne pouvaient pas être respectées. Si je ne remets pas en cause le reconfinement, la situation a évolué. Et le gouvernement décide de fermer les bibliothèques, les librairies et les rayons livres des hypermarchés. Le Premier ministre a menti en expliquant à la télévision que tous les pays européens faisaient comme nous, seules l'Irlande et le Pays de Galle l'on fait... L'ouverture de ces lieux est importante pour des raisons commerciales, mais aussi pour le symbole. En Belgique, le gouvernement a considéré qu’il fallait ouvrir ces commerces pour « la santé mentale » des belges. En France, beaucoup de librairies pratiquent le «click & collect», c’est déjà ça mais je pense qu’il manque un symbole, qui doit être donné par la classe politique.

Vous avez travaillé sur ce cinquième volume de «L'Arabe du futur» pendant le premier confinement. Quel souvenir en gardez-vous ?

Il m’est compliqué de reparler de ce moment car une grande part d’inconscient s’exprime au moment du dessin. Je me souviens avoir commencé ce volume et puis d’un coup, il était déjà fini. Souvent, j’ai la sensation que mes livres ont une existence propre, qu’ils viennent un peu tout seul. La difficulté du livre se trouve en fait surtout dans son exécution, avec les contraintes diverses et variées que suppose le nombre important de pages du volume : c’est à chaque fois une sorte de marathon, je suis à chaque fois surpris de voir mon livre terminé. C’est un peu comme lorsqu’on fait un enfant, on l’imagine et il arrive bien différent de ce qu’on avait imaginé, ça ne nous empêche pas de l’aimer. Il y a une part très peu intellectualisée et je ne veux pas trop l’analyser pour ne pas risquer de dérégler le système d’horlogerie... s’il y en a un !

Est-ce que vous faites partie de ces auteurs qui veulent s’effacer devant leur production ?

Il y a certainement une sorte de libération de l’histoire personnelle dans le livre qui fait qu’elle ne m’appartient plus, puisque je la partage avec d’autres personnes. Cette histoire familiale n’a intéressé personne pendant 40 ans et maintenant, j’ai des millions de lecteurs qui connaissent mieux ma famille que moi. A observer d'un point de vue humain, c'est assez stupéfiant, peut-être le seul phénomène paranormal que j'ai jamais vu !

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© Riad Sattouf / Allary éditions

Dans ce tome 5, on vous retrouve dans un moment difficile de votre existence, découvrant paradoxalement quelques auteurs de BD avec grande joie. Est-ce que la BD constitua une bouée de secours à ce moment-là ?

J’ai toujours adoré l’histoire du «Vilain petit canard», cet oisillon né dans la mauvaise famille qui finit par trouver son peuple. Pour ma part, j’ai choisi le peuple qui crée les livres. Au-delà des auteurs dont j’adorais le style, les personnes mêmes me fascinaient. Je souhaitais tout connaître d’eux : en tant qu’ado, je cherchais à trouver un écho à mes envies. Ça a été un moyen de m’évader de la réalité, de quitter ce drame familial.

Mon identité nationale a d'abord été l'émancipation par l'expression

J’adorais apprendre que Moebius passaient des nuits blanches sur ses illustrations ou que Philippe Druillet dessinait sur des surfaces de deux mètres de long, portait des bottes rouges, prenait de la drogue et avait influencé Star Wars, que Saint-Exupéry avait écrit ses premiers livres dans un hangar. J’avais hâte de rejoindre ce peuple-là. Je dessinais tout le temps, je savais bien que c’était ce que je voulais faire plus tard, sans en connaître le contenu. J’ai dû attendre plus de maturité ou d’expérience pour trouver ma voie. Mon identité nationale a d’abord été l’émancipation par l’expression.

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© Riad Sattouf / Allary éditions

«L’émancipation par l’expression» : est-ce le message que vous adressez aux jeunes ?

J’ai fait beaucoup de BD sur les jeunes. Me mettre en scène dans ce cadre-là c’est aussi une manière honnête de passer le relais. Si je peux donner à des jeunes des pistes de réflexion sur leurs propres histoires et leurs familles, j’en serais très heureux.

Entre ce tome de «L'arabe du futur», «Les cahiers d’Esther», «La vie secrète des jeunes»… pourrait-on dire que l’adolescence est votre période préférée ?

C'est vrai que ma propre adolescence m'a marqué mais plus largement, les adolescents me fascinent, ce sont des créatures un peu magiques, des êtres qui errent entre deux mondes. L’enfance n'a pas le temps de s'éteindre tout à fait alors qu’arrive l’aube de l’âge adulte. C’est aussi le moment où les hormones se libèrent, où se développent des peurs irrationnelles, des sentiments exacerbés, de tristesse, d’amour, avec des émotions violentes ou tendres, on peut être très inhibés aussi, on se retrouve à devoir s’occuper d’un corps qu’on n’avait pas forcément rêvé comme tel. Est-ce qu’on s’écrase contre la falaise de l’âge adulte ou est-ce qu’on arrive à l’aborder par l’escalier ? On ne peut pas le savoir avant de l'avoir vécu. C’est passionnant à observer.

Justement, vous étiez plutôt falaise ou escalier ?

J’étais un ado typique, un peu invisible. Côté breton, j’ai eu la chance d’avoir une famille qui me voyait comme quelqu’un d’un peu supérieur à Picasso ! Ils me soutenaient beaucoup, pensaient que j’étais un génie. La confiance qu’on a en ses enfants les porte pour toujours.

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© Riad Sattouf / Allary éditions

Dans ce tome 5, vous traitez aussi du fossé entre vos deux cultures qui a pu vous faire souffrir à votre adolescence. Comment vous en êtes-vous sortis ?

J’ai été conditionné par un certain type d’éducation, j'ai donc eu un choc de permissivité et de valeurs morales lorsque j'ai vu ce que tous ces jeunes avaient le droit de faire en France. Me plonger dans les œuvres et les vies de tous ces écrivains et ces dessinateurs m’a ouvert un champ des possibles. J’ai grandi dans un village dénué de tout livre, de toute librairie, de toute lecture. Je dois ce que je suis à ma grand-mère bretonne qui m’envoyait des Tintin par la poste dans ce village. Le livre est un outil d’émancipation essentiel en période d’obscurantisme. Dans les dictatures, le livre est la première chose que l’on interdit.

Dans les dictatures, le livre est la première chose que l'on interdit

Avec ces restrictions, avez-vous peur de ce qui se passe aujourd’hui en France ?

Je reste optimiste car je pense qu’il y a une prise de conscience générale : on se rend compte que la société libre telle qu’on l’aime continue d’exister, qu’il faut la défendre absolument, sans faire de concessions. La France est un pays exceptionnel fort de sa valorisation de l’expression personnelle, de l’émancipation par l’art, majeure dans le monde. J’ai eu la chance de beaucoup voyager et ce niveau de liberté d’expression artistique n’existe pas ailleurs.

Diriez-vous que seuls les livres empêchent la barbarie ?

C’est plus généralement l’éducation, un élément central sur lequel on ne doit pas revenir. Et éduquer à l’esprit critique est essentiel, comme ne jamais s’empêcher d’aborder aucun aspect des idées quelles qu’elles soient. Si on commence à s’interdire de parler de certaines choses, il y aura toujours quelqu’un pour vouloir interdire autre chose et au bout d’un moment, tout disparaît.

Reporter Sans frontières a fait appel à vous pour son livre annuel en faveur de la liberté de la presse. Parallèlement, vous avez dessiné la couverture du recueil de textes « 13 à table ! Avec les Restos du cœur » (éd. Pocket), dont les recettes sont reversées aux Restos du cœur. Vous définissez-vous comme un auteur engagé ?

Une action a des répercussions sur la société quand elle touche un symbole. Chaque livre est politique. J’ai beaucoup de mal avec les artistes qui se contentent de commenter l’actualité sur les réseaux sociaux : ceci n'a rien à voir avec l'engagement. Quand on m’a proposé ce projet pour RSF, j’ai tout de suite accepté car la liberté de la presse est en chute libre partout dans le monde. Il n’y a plus qu’en Europe où elle existe encore. Même la presse américaine est catastrophique, de droite comme de gauche. La liberté d’expression et l’extrême pauvreté sont deux sujets qui me touchent. Si je peux aider, je le fais avec autant de plaisir.

Eduquer à l'esprit critique est essentiel

Que trouve-t-on dans l’album de RSF « 100 dessins pour la liberté de la presse» ?

On a repris pas mal de dessins de mon précédent ouvrage « L’écriture dessinée » sortie pour l’exposition qui s'est tenue au Centre Pompidou à Paris en 2018-2019, mais aussi des dessins des «Cahiers d’Esther», de «L’Arabe du futur» et des dessins inédits. Je raconte aussi mon parcours, pour montrer aux jeunes qu’il est possible de devenir un dessinateur sans être pour autant un virtuose du dessin, de montrer que l’émancipation par l’art est possible, que c’est un choix personnel.

Le 4 novembre, à 21h, en live sur les comptes d'Allary Éditions et de Riad Sattouf sur Instagram, Facebook et YouTube, Riad Sattouf dévoilera les secrets de fabrication «L’Arabe du futur» dans un entretien conduit par la journaliste Anne Boulay.

L'arabe du futur, Tome 5 : une jeunesse au Moyen-Orient (1992-1994), éd. Allary, 184 p., 22,90 € 

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