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La Cour suprême des États-Unis condamne la fondation Warhol à verser des droits d'auteur à la photographe Lynn Goldsmith

Avec ce jugement, la Cour suprême clarifie le droit de la propriété des œuvres transformatives, c’est-à-dire qui se basent sur une première oeuvre pour en créer une autre. [REUTERS/Brendan McDermid/File Photo]

La photographe Lynn Goldsmith a remporté sa bataille judiciaire, très suivie dans le monde de l’art. La fondation Andy Warhol a été condamnée à lui verser des droits d’auteur pour la transformation de son cliché de Prince par le maître du Pop Art, en 1984.

Une photographe, dont un cliché du musicien Prince a été utilisé par le peintre Andy Warhol, aurait dû recevoir des droits d'auteur, a jugé jeudi la Cour suprême des Etats-Unis dans un dossier très suivi par le monde de l'art.

La Cour estime que Lynn Goldsmith aurait dû être rémunérée parce que le portrait inspiré de son travail a eu le même «usage commercial» que ses photos : il a été utilisé en couverture d'un magazine.

«Le travail original de Goldsmith, comme celui d'autres photographes, mérite d'être protégé par le droit d'auteur, même contre des artistes connus», écrit la juge Sonia Sotomayor au nom de la majorité. 

La fondation du maître du Pop Art a exprimé son «désaccord respectueux» avec cet arrêt, tout en se félicitant dans un communiqué qu'il soit «limité à cet usage précis (du tableau) et ne mette pas en doute la légalité de toute la série sur Prince, créée par Andy Warhol en 1984».

L'affaire a débuté trois ans plus tôt, quand Lynn Goldsmith, une photographe réputée pour avoir immortalisé de nombreuses stars du rock, a proposé à l'hebdomadaire Newsweek de tirer le portrait d'un musicien prometteur : Prince. 

Elle réalise alors plusieurs clichés en noir et blanc du jeune homme aux traits fins. En 1984, l'album «Purple Rain» le propulse au rang de star. Le magazine Vanity Fair veut lui consacrer un article et demande à Andy Warhol de réaliser son portrait dans le style de ses célèbres gravures colorées de Marilyn Monroe ou Mao. Contre 400 dollars, Lynn Goldsmith autorise le magazine à utiliser l'une de ses photos pour l'usage exclusif de cet article. Intitulé «Purple Fame», le texte est accompagné du visage de Prince, la peau violette et le cheveu de jais, sur un fond orange vif.

«Jugements esthétiques»

L'histoire en serait restée là si Andy Warhol n'avait pas décliné cette photo sur tous les tons pour créer une série de 16 portraits sérigraphiés du musicien, qu'il admirait pour son talent et son style androgyne. Lynn Goldsmith a découvert leur existence en 2016 à la mort de Prince, quand Vanity Fair a publié en Une une image du «Kid de Minneapolis» tirée de sa photo, mais tout orange cette fois.

Elle a alors pris contact avec la fondation Andy Warhol, qui gère la collection de l'artiste depuis sa mort en 1987, pour réclamer des droits. Celle-ci a refusé, ouvrant la porte à une intense bataille judiciaire qui s'est dénouée jeudi.

«Goldsmith et la fondation Warhol ont fait le même usage commercial» de l'image de Prince, a écrit la juge Sotomayor, sans entrer dans le débat sur le droit de la propriété intellectuelle en matière d'œuvres «transformatives». Cette notion protège les artistes qui empruntent à une première œuvre pour aboutir à une création originale. Dans ce dossier, les avocats de la Fondation Warhol avaient plaidé que le tableau soulignait le statut d'«icône» de Prince, alors que la photo montrait plutôt sa «vulnérabilité».

Les tribunaux ne devraient «pas assumer le rôle des critiques d'art et imputer des intentions ou une signification à une œuvre d'art», écrit Sonia Sotomayor au nom de la majorité. «Les juges sont peu équipés pour faire des jugements esthétiques.»

«Histoire de l'Art»

Deux des neuf juges, la progressiste Elena Kagan et le chef de la Cour John Roberts, ont exprimé leur désaccord dans un argumentaire distinct. Soulignant qu'Andy Warhol «a gagné sa place dans les cours d'histoire de l'art», ils estiment «surprenant que la majorité ne mesure pas à quel point son travail diffère (...) de l'œuvre originale», et «pire, qu'elle semble s'en ficher».

Pour Bruce Ewing, avocat spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle, la portée de l'arrêt est «à la fois étroite et large». Etroite «parce que la majorité prend soin de préciser qu'elle se prononce uniquement sur la question de l'usage, équitable ou non, de l'oeuvre dans un contexte spécifique», analyse-t-il dans un document transmis à l'AFP. Sonia Sotomayor écrit en effet que la Cour «n'exprime aucune opinion sur l'exposition ou la vente» des autres tableaux de Prince par la Fondation Warhol.

Large «parce qu'elle insiste sur l'importance de l'usage commercial ou non commercial, ce qui va permettre de réévaluer toutes les jurisprudences qui se concentraient sur l'aspect transformatif des œuvres», ajoute l'expert.

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