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«Livres dont vous êtes le héros» : un ouvrage retrace l'épopée éditoriale des livres-jeux devenus culte

L'ouvrage de 220 pages retrace l'épopée des livres culte parus chez Gallimard dans les années 1980, et dont certains actuellement réédités. [© Third Editions]

Phénomène des années 1980, avant d'être occulté par les jeux vidéo dans les années 1990, les Livres dont vous êtes le héros connaissent un retour salutaire, devenant le prolongement d'aventures vidéoludiques pour la Gen Z. Ces livres-jeux font l'objet d'un essai encyclopédique chez Third Editions, dont CNEWS a interviewé l'auteur, Raphaël Lucas.

Une feuille, deux dés, un crayon... Vous êtes parés pour vous lancer dans une aventure labyrinthique où seules deux issues sont possibles : la mort ou le triomphe. Voici, en substance, le concept des Livres dont vous êtes le héros, nés au Royaume-uni dès 1982, et venus en France grâce au flaire des éditions Gallimard en 1984. Le succès éditorial, avec plusieurs millions d'exemplaires vendus dans le monde, a contribué à marquer toute une génération dans la droite ligne du jeu de rôle Donjons & Dragons. Tombée aux oubliettes dans les années 1990 et 2000, cette collection est revenue au goût du jour ces dernières années, tandis que certains jeunes lecteurs, devenus adultes depuis, s'essayent à renouveler le genre ou à lui rendre hommage. C'est le cas de Raphaël Lucas, qui signe l'un des ouvrages les plus passionnants sur la question, paru fin mai chez Third Editions.

En quoi Les livres dont vous êtes le héros (LDVELH) ont-ils été une révolution ? Y avait-il des précédents ?

Raphaël Lucas : Il y a eu des précédents en effet. On peut même remonter au XVIe siècle pour trouver une pièce de théâtre anglaise, The Lady of May, qui invitait à choisir la fin. Dès les années 1920, on peut s'intéresser aux ouvrages «Consider the consequences», qui jetaient des bases d'un récit avec des embranchements. Plus tard, en 1946, sont édités en Angleterre les Treasure Hunt. Ce sont les premiers exemples de livre-jeu destinés aux enfants. On y trouve un système de double page. L'une décrit la situation et les choix à faire, l'autre offre des dessins pour montrer ce que les héros voient. Ces livres décrivent un monde crédible et cohérent où l'on explore la campagne avec un château à atteindre et un trésor à trouver. Les héros, qui étaient des enfants, étaient toujours représentés de dos, cela annonçait aussi le héros impersonnel pour permettre aux lecteurs de s’incarner dedans.

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© Third Editions

On trouve une autre grande série sortie d'abord sortie aux Etats-Unis : Choose your own adventure. Lancée en 1969, elle se vendra à plus de 260 millions d'exemplaires dans le monde. Ici, il était question de récits à embranchements. Finalement, les LDVELH s'inscrivent dans le prolongement du phénomène de Donjons & Dragons, né dans les années 1970, qui se vendait par centaine de milliers d’exemplaires.

Deux britanniques amateurs du genre et qui tenaient une boutique dédié au jeu de rôle, Ian Livingstone et Steve Jackson, ont décidé de créer un univers fantasy et de permettre à des gens d’y jouer seul chez eux. L'ajout des dés et des fiches de personnages à tenir était le plus du concept. Le succès fut immédiat et les livres Fighting Fantasy (Défis fantastiques en France) se sont vendus à plusieurs millions d’exemplaires au Royaume-Uni. C'est ce succès qui a attisé la curiosité des éditeurs étrangers, notamment Gallimard en France.

Les auteurs Ian Livingstone et Steve Jackson ont décidé que chaque livre aurait 400 paragraphes (...) Ce sont des livres assez dur à résoudre au final.Raphaël Lucas

L’écriture et la narration étaient des défis en eux-mêmes, quelles difficultés doit surmonter l’auteur de ce type de livres ?

Il s'agit d'une narration à embranchements, qui n’est donc pas linéaire. On y passe d’un lieu à un autre et d’une situation à une autre pour chaque paragraphe. Enfin, à la fin du premier paragraphe le lecteur se retrouve face à trois choix. Lorsqu'ils ont commencé à rédiger les Défis Fantastiques (Fighting Fantasy en VO), Ian Livingtsone et Steve Jackson ont décidé que chaque livre aurait 400 paragraphes. Ils se plaçaient alors face à un tableau où ils écrivaient un paragraphe numéroté avant de l'effacer, puis de passer au suivant. Au fur et à mesure, ils vont équilibrer la narration et vérifier que des chemins ne mènent pas à rien, ou même volontairement créer des boucles dont il faut se sortir. Ce sont des livres assez dur à résoudre au final.

Différents LDVELH étaient aussi appréciés pour leur qualité d’écriture. Il y avait un aspect littéraire qui était salué. S’agit-il d’un héritage typique de la fantasy ?

Le Seigneur des Anneaux est une des références évidentes chez tous les auteurs de fantasy. Toutefois, je nuancerais ces efforts d'écriture car tout dépend des auteurs. Certains sont plus doués que d’autres. Des auteurs sont dans la description d'une situation, mais c’est l’imaginaire du lecteur/joueur qui est conviée à combler les trous. D’autres comme Joe Dever, l'auteur de la série Loup Solitaire, ont tendance à travailler leur écriture. Ce dernier avait notamment créé son propre univers cohérent, le Magnamund, comme l'avait fait J.R.R Tolkien. Steve Jackson avait également beaucoup travaillé son écriture sur «Sorcellerie !», avec de nombreux embranchements.

Quel était votre livre préféré ?

Je peux citer «Dragon d’or : le château des âmes damnées», ou encore le 2e volet de la série «Sorcellerie !» : «La Cité des Pièges». Sur ce dernier, j'admirais les dessins qui donnaient une pâte à la série. D'ailleurs, il faut souligner qu'il y avait une esthétique spécifique à chaque série, qui contribuait beaucoup à l'imaginaire du lecteur, qui les suivait aussi pour leurs dessins. J'ai beaucoup apprécié la saga «La Quête du Graal», qui était plutôt humoristique.

On recherche les premiers volumes car ils nous rappellent notre enfance, mais leur valeur est uniquement spéculative.Raphaël Lucas

Aujourd’hui, le retour en librairies se fait avec de nouvelles éditions mais les récits restent les mêmes avec l'ambition de séduire une nouvelle génération. Mais la collection des anciennes versions foisonne en France avec certains livres qui se vendent plus de 50 euros. Comment expliquer leur valeur ?

On recherche évidemment les premiers volumes parce qu'ils nous rappellent notre enfance. Il n’y a en réalité pas de valeur et c’est uniquement affectif, j’avais même acheté toute une collection des premières éditions, dont les livres valaient 1,50 euro environ chacun. Mais leur valeur actuelle est uniquement spéculative. Ces dernières années, Gallimard a ressorti certains livres avec des éditions plus modernes en se basant sur les livres qui s'étaient le mieux vendus à l'époque. Mais il y a aussi de petits éditeurs qui ont ressorti des livres jamais reparus.

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© Third Editions

Il y avait également tout un marché dérivé avec des «Jeux dont vous êtes le héros»...

En effet, Gallimard a vu qu’il y avait un marché fructueux et qu’il n’arrivaient pas à suivre en s'appuyant simplement sur les livres. Comme l'éditeur avait quasiment traduit tout ce qui était disponible, il a choisi de créer notamment des livres avec des traducteurs français, qui prenaient des pseudonymes étrangers pour faire croire que les récits venaient d'ailleurs. Puis, il a aussi souhaité faire évoluer le concept en proposant des solutions pour jouer à deux ou à plusieurs, et on s’est alors rapproché de plus en plus du jeu de rôle. On pouvait par exemple faire à deux «Le Shérif et le Hors-la-Loi» qui était construit comme un duel, écrit par un Italien.

Il y avait aussi cette adaptation de L’Œil Noir, qui est à l'origine un vrai jeu de rôle comme Donjons & Dragons. Cette saga avait été intégrée à la collection LDVELH. D'aileurs, il est amusant de noter que les LDVELH on été initialement créés comme une initiation au jeu de rôle. Finalement, cette collection a évolué pour devenir un véritable retour au jeu de rôle. L'idée étant d'accompagner son lectorat qui avait grandi.

Comment avez-vous travaillé sur votre ouvrage ?

J'ai compulsé beaucoup de magazines de l’époque pour obtenir des références. J'ai aussi mené plusieurs interviews et je suis entré en contact avec Steve Jackson pour valider certaines choses, notamment autour des projets de jeux vidéo qui montaient dans les années 1990. J'ai aussi échangé avec des gens assez variés sur le sujet, comme Gautoz, ancien journaliste du site Gamekult, qui va faire des sessions live sur les LDVELH, avec l'accord de Gallimard. Je me suis aussi rapproché de la maison d'édition associative Scriptarium, qui travaille avec Gallimard pour adapter des livres-jeux, mais aussi de Léa Gallet, éditrice en langue étrangère chez Gallimard.

Tout ceci m'a rappelé que les premiers livres de la collection sont arrivés il y a 40 ans, le temps passe et les gens qui ont travaillé dessus ont aussi vieilli. Il m'a fallu faire des recoupements, car parfois il y avait des souvenirs incohérents chez certaines personnes. Mais ce qui compte pour moi c’est le voyage autour de ces livres, qui sont uniques.

En quête des Livres Dont Vous Êtes le Héros - des origines à nos jours -, de Raphaël Lucas, éd. Third, 24,90 €.

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