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Nadia Tereszkiewicz : «J’ai trouvé au cinéma une liberté que je n’avais pas dans la danse», raconte l'actrice à l'affiche de «L'île rouge»

La comédienne franco-finlandaise de 27 ans multiplie les rôles de femmes complexes. [© GONZALO FUENTES/REUTERS]

Après «Les Amandiers», qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin, et «Mon crime», Nadia Tereszkiewicz est à l’affiche ce mercredi de «L’île rouge». Rencontre avec une actrice solaire, passionnée et curieuse, qui compte parmi les étoiles montantes du cinéma français.

Six ans après le bouleversant «120 battements par minute» sur le mouvement Act Up, le réalisateur Robin Campillo revient au cinéma ce mercredi 31 mai, et signe une œuvre très personnelle, inspirée en partie de sa propre enfance et pour laquelle il a fait appel à Nadia Tereszkiewicz.

Dans «L'île rouge», la comédienne, qui nous subjugue par sa grâce et son talent, incarne Colette, une femme au foyer et mère de trois enfants, dont le mari est sous-officier dans l'Armée française. La famille est installée sur la base militaire d’Ivato, sur l’île de Madagascar, et vit les dernières illusions du colonialisme au début des années 1970. La fin d’une ère vue à hauteur d’enfant, où les souvenirs des adultes sont souvent fantasmés et où Fantômette s'invite à la nuit tombée. Une vie d’insouciance où les héros se retrouvent pour de longs déjeuners arrosés, dansent et font la fête, taisant bon nombre de secrets et reléguant les Malgaches au statut de domestiques.

En quoi le scénario vous a-t-il séduit ?

Robin (Campillo) est un cinéaste que j’admire énormément. Il réussit à montrer avec tendresse toute la complexité des rapports humains. Avant même le très réussi «120 battements par minute», «Eastern Boys» m’avait énormément touchée et remuée. J’ai découvert que «L’île rouge» s’inspirait de sa propre enfance, et j’aimais que cette histoire intime s'imbrique dans la grande Histoire. C’est un film politiquement engagé, le récit d’une époque un peu oubliée où je joue la mère de Robin. Un rôle que je ne pouvais pas refuser.

Robin Campillo vous a-t-il justement guidée pour jouer Colette ?

Beaucoup. Pendant le tournage, il racontait de nombreuses anecdotes, des récits de voyages. J’ai aussi regardé beaucoup de films des années 1960-1970 comme «Muriel ou le temps d’un retour» avec Delphine Seyrig, «Cléo de 5 à 7» d’Agnès Varda, ou «Vivre ensemble» de et avec Anna Karina. Colette est une jeune mère de trois enfants, et une femme expatriée qui a toujours suivi son mari. Grâce à ses mutations, elle échappe au temps qui passe et garde une forme de jeunesse. Effrayée par la mort, elle est empreinte d’une forme de mélancolie qui grandit par ce retour en France annoncé, par la fin de cette joie illusoire à Madagascar. Cette maman espère que sa famille qu’elle aime mais pour laquelle elle s’est sacrifiée, va rester soudée malgré les événements. Colette rêve d’indépendance et de liberté, et cette émancipation fait peur à son époux.

Plus jeune, vous vous destiniez à une carrière de danseuse. Ces années de pratique à haut niveau vous aident-elles aujourd’hui en tant qu’actrice ?

J’ai dansé huit heures par jour pendant près de quinze ans. J’ai donc un rapport assez instinctif au corps. J’aime aborder les rôles physiquement. Une simple posture en dit parfois davantage que des mots. Émotionnellement, je suis aussi connectée.

Je suis scolaire et rigoureuse. J'ai le sens de l'effort. Mais mon métier, c'est avant tout une passion.

J’ai trouvé au cinéma une liberté que je n’avais pas dans la danse. Le théâtre apporte l’imaginaire qui manque au ballet, une manière organique d’aborder une histoire. Si j'ai arrêté la danse classique, je continue la danse contemporaine et je me produirai à Berlin cet été.

Monia Chokri qui vous a dirigée dans «Babysitter» (2022), dit que vous êtes une grande travailleuse. Vous, vous préférez parler de chance quand vous évoquez votre incroyable début de carrière…

Après la danse, j’ai suivi un cursus littéraire hypokhâgne/khâgne. Je suis donc scolaire et rigoureuse. J’ai le sens de l’effort. Mais mon métier, c’est avant tout une passion. Je ne me rends pas forcément compte que je travaille. J’ai la chance d’avoir pu interpréter des rôles de femmes complexes et de jouer dans d’autres langues. C’est un rêve absolu de participer à des films qui traversent les frontières. Je profite de tous ces moments intensément. En revanche, je ne parviens pas à multiplier les projets en même temps. J’admire Isabelle Huppert qui réussit à enchaîner cinéma et théâtre.

Le 24 février dernier, vous avez décroché le César du meilleur espoir féminin pour votre performance dans «Les Amandiers» de Valeria Bruni Tedeschi. Ce prix a-t-il changé quelque chose pour vous ?

Ce César est un bel encouragement personnel. C'est aussi l’accomplissement d’une œuvre collective. Dans cette salle, devant tous les gens que j’admirais depuis que je suis toute petite, je me souviens avoir été très émue de voir mon travail reconnu. César ou non, la pression est en revanche la même, à partir du moment où un cinéaste vous confie un rôle. On y met beaucoup de soi et il ne faut pas décevoir.

Vous avez récemment monté les marches du Festival de Cannes pour présenter le film «Rosalie» de Stéphanie Di Giusto, avec Benoît Magimel. Que représente cet événement pour vous ?

C’est un festival mythique que je regardais à la télévision quand j’étais enfant. A 11 ans, j’ai fait de la figuration sur les marches en tant que petite danseuse. J’étais en tutu et je voyais passer les stars. J’avais aussi assisté aux projections des films «Amour» et «Soleil trompeur». L'an dernier, j'étais de l'autre côté pour présenter «Les Amandiers». C’était incroyable. Cette année, je suis très fière d’avoir pu défendre «Rosalie», drame dans lequel je donne la réplique à Benoît Magimel, un immense acteur, et incarne une femme à barbe au XIXe siècle. Une expérience qui m’a bouleversée. J’ai été poilue de la tête aux pieds pendant plusieurs semaines. Mon corps s’est modifié. J’avais parfois honte et me suis sentie rejetée. Ce film aborde la question de la féminité, du désir, de la différence. C’est l’histoire d’un amour inconditionnel réalisée par Stéphanie Di Giusto. C’était émouvant de la retrouver car c'est elle qui m'a offert mon tout premier rôle au cinéma dans «La danseuse».

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