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«La Malédiction : l'origine» : la réalisatrice Arkasha Stevenson a voulu montrer que «le corps féminin n'est pas obscène»

La réalisatrice Arkasha Stevenson (à g.) dirige Nell Tiger Free (à d.) [Moris Puccio / © 2024 20th Century Studios. All Rights Reserved.]

Ce mercredi marque la sortie au cinéma de «La Malédiction : l'origine», préquel de la célèbre franchise horrifique. À travers ce film dur et dérangeant, la cinéaste Arkasha Stevenson n'a pas hésité à filmer frontalement les scènes de violences faites aux femmes. Elle a expliqué ce choix à CNEWS.

«On ne peut pas concevoir un film sur les violences faites aux femmes sans les montrer». De cette note d'intention, la réalisatrice Arkasha Stevenson a accouché, avec «La Malédiction : l'origine» - en salles ce mercredi 10 avril - d'un film sombre et dérangeant.

Dans un entretien accordé à CNEWS, elle explique sa vision du cinéma d'horreur. Un regard très ancré dans la réalité, sans lésiner sur l'épouvantable et le gore.

J’aimerais commencer à propos de vous. En interviews, vous répétez qu’il n’y a rien de plus terrifiant que la vie réelle. Dès lors, qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet qui regorge d’éléments surnaturels ?

Vous savez, l’une des choses les plus intéressants de la franchise «La Malédiction», et spécifiquement pour le premier film, c’est qu’avant que le surnaturel n'intervienne, on suit des personnes qui essayent de comprendre qu’elle est la limite entre le réalisme et le surréalisme. Il y a un moment où Lee Remick dit à Gregory Peck (les deux acteurs principaux du film, ndlr) qu’il doit appeler un médecin car elle perd l’esprit. Ce sentiment a eu un gros effet sur moi en tant qu’enfant quand j’ai vu ce film pour la première fois, parce que je n’avais jamais pensé que le cerveau pouvait dévier à ce point de cette réalité collective dans laquelle nous vivons. Et à quel point cette expérience d’isolement et de solitude peut nous rendre seuls, c’est vraiment terrifiant.

Beaucoup de films parlent de réprimer son intuition et ses traumatismes, et comment ces derniers peuvent resurgir et se présenter comme la réalité. Cela a été la clé pour moi afin de donner une nouvelle approche dans la franchise, un peu comme dans «Répulsion» (de Roman Polanski, 1965). Donc je pense que «La Malédiction : l’origine » peut être un film d’horreur même sans le surnaturel, parce que c’est une œuvre sur une femme qui essaye de conjurer son intuition tout en luttant contre les souvenirs du passé et son nouveau traumatisme.

Vous n’hésitez pas à utiliser le jumpscare dans votre film. Pensez-vous qu’il s’agit d’un outil qui renforce l’atmosphère de terreur, ou qui apporte simplement aux spectateurs les sensations qu’ils veulent dans la salle de cinéma ?

Lorsque vous regardez un film d’horreur, surtout de nos jours, vous vous attendez à avoir des jumpscares, et même, vous en avez envie. Et ils sont très amusants. Mais je pense que les spectateurs voient eux-mêmes que le film ne s’en préoccupe pas et que ce n’est pas de là que vient la majorité de l’horreur. En réalité, les jumpscares sont presque un MacGuffin, car quelque chose de plus insidieux est en jeu. «La Malédiction : l’origine» est plus un film d’horreur existentiel qui remet en question la réalité et notre relation au réel, ce qui, à mon sens, est bien plus terrifiant, et ne s’effacera pas aussi facilement qu’un jumpscare.

Vous citez souvent «Klute» d'Alan J. Pakula comme inspiration principale. Mais on peut également voir l’influence des «Diables» de Ken Russell ou «Possession» d’Andrzej Żuławski, dans une scène montrant l’incroyable talent de Nell Tiger Free. Comment avez-vous travaillé afin de définir votre propre style visuel ?

Nous étions très intéressés de parler du corps féminin, et de voir l’horreur à travers le prisme de la paranoïa et ce que les femmes peuvent ressentir dans leur corps. Et c’est ce qui a dicté le type d’horreur dont nous parlons, et je pense que toute cette peur se prête naturellement au body horror. Ce qui était important pour nous, c’était de présenter le body horror avec beaucoup de tact et d’humanité, mais sans rien cacher ni se dérober, tout en étant dans la peur pure, sans fétichiser les formes ou les mutilations du corps féminin. Regarder le film à travers ce point de vue est une façon différente d’aborder la saga «La Malédiction», qui est une série de films plutôt masculine, avec des points de vue du côté de l’homme.

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Moris Puccio / © 2024 20th Century Studios. All Rights Reserved.

Dans l’un de vos premiers courts-métrages, «Vessels», vous utilisiez déjà le body horror pour traiter la thématique de la transidentité. Dans «La Malédiction : l’origine», vous vous en servez aussi pour les séquences les plus angoissantes, comme une scène d’accouchement. Est-ce que le mélange des genres horrifiques permet une expérience plus poussée pour le spectateur ?

Il était important pour nous de nous présenter, spécifiquement dans les séquences de body horror, dans une réalité très ancrée, et d’être aussi précis que possible quand il s’agit de faire ressentir ces instants. Beaucoup de ces choses arrivent dans la vraie vie. Dans les années 1950-60, on attachait les femmes au lit lorsqu’elles accouchaient, et c’est encore le cas aujourd’hui. Parfois même, on les assommait. Pour nombre d’entre elles, l’accouchement est basé sur un sommeil crépusculaire, puisqu’on leur donne quelquefois des sédatifs, qui ne sont pas des analgésiques. À ce moment précis, les femmes sont traitées comme un «récipient» (traduction de «Vessels» en français) et plus comme des êtres humains. Présenter cela en premier lieu comme l’horreur, puis comme la réalité, tout en rajoutant des éléments surnaturels, c’est la cerise sur le gâteau.

Vous avez eu la chance de développer des thématiques fortes, avec un point de vue féminin, sur les violences, au sein de l’Église, surtout commises sur des femmes et des jeunes filles. C’est quelque chose d’inhabituelle dans une si grosse production.

C’est ce que je pense aussi. Surtout que l’on n’attendrait pas ça d’une firme comme Disney (qui produit le film via la 20th Century), mais ils ont été d’un soutien total tout au long du processus, ce qui a été une expérience très valorisante. Je pense aussi que cela montre que les gens veulent vraiment discuter de ces sujets et qu’ils les prennent au sérieux.

Vous avez dû lutter pour obtenir une classification permettant une diffusion au grand public aux États-Unis en raison de la violence de certaines scènes. Regrettez-vous que la censure américaine puisse considérer des images liées au corps féminin trop choquantes pour un grand public ?

Ce qui peut choquer, c’est de voir l’anatomie féminine sous un regard non-sexuel. Je pense que nous ne  sommes pas habitués à voir cela et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous étions vraiment enthousiastes à l’idée de faire ce film, et de porter cette image à l’écran. Pour dire que le corps féminin n’est pas pauvre, n’est pas obscène. Ce qui compte, c’est ce qu’on lui fait subir. C’est ce qui nous a motivés, en passant tant de fois devant le comité de classification américain, à justifier cela. Pour autant, je n’ai pas ressenti de censure, nous avons tourné ce que nous voulions, et la majorité se retrouve dans le film.

Le point le plus important pour lequelle nous avons dû nous battre était d’imposer ce plan sur un vagin. Il a pu être considéré comme offensant de voir l’anatomie féminine jusqu’à ce que celle-ci soit violée. Puis, le comité l’a approuvé, ce qui est assez troublant. On aime à penser que nous avons progressé au-delà de tout ça, mais peut-être que ce n’est pas le cas. L’intention de cette scène était de la vivre à travers ce plan frontal de 30 secondes, mais nous avons finalement dû le couper en deux pour avoir un plan de profil. Pourtant, nous avons un plan frontal de pénis qui n’a pas choqué. Mais que le vagin puisse être considéré comme offensant est problématique.

C’est un choix très politique de montrer tout ça.

C’est certain, ce n’est pas commun de voir ça. Quand on fait un film pour savoir où et comment est né Damien (l’Antéchrist dans le film original «La Malédiction»), on fait un film sur la naissance. Ce qui veut dire qu’on peut la montrer dans le film. Dans ce cas précis, nous faisons un film qui traite du viol et on ne peut pas le concevoir sans en montrer la violence, sans filmer la forme féminine et ce qui est désacralisée par cet acte.

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