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L'anonymat des indics contesté en justice

Des voitures de police garées devant un commissariat [Philippe Desmazes / AFP/Archives] Des voitures de police garées devant un commissariat [Philippe Desmazes / AFP/Archives]

L'anonymat des indicateurs de la police, fondamental pour les enquêteurs mais régulièrement contesté par les avocats de la défense, sera au coeur d'une affaire emblématique de trafic de drogue jugée jeudi à Dijon.

"De quoi je peux discuter, à l'instruction ou à l'audience, avec un renseignement anonyme ? Je ne sais pas d'où il vient. Le gars a pu mentir, être manipulé, ou n'existe peut-être même pas", déplore auprès de l'AFP Me Thomas Bidnic, très actif dans ce dossier.

Son client Mokhtar Matallah, 36 ans, comparaît jeudi devant le tribunal correctionnel de Dijon, aux côtés de trois autres prévenus, pour "transport, détention et cession illégale de stupéfiants". Déjà condamné pour de mêmes faits, il encourt vingt ans d'emprisonnement.

Typique en matière de drogue, l'enquête a commencé en avril 2010 par un renseignement anonyme, annonçant un "go fast" entre l'Espagne et la France avec 300 kilos de cannabis à son bord. Un autre, faisant état à tort d'une nouvelle livraison, a permis l'arrestation de M. Matallah en juillet 2011.

Entre-temps, les enquêteurs ont accumulé plusieurs éléments à charge, relevant notamment les empreintes du prévenu dans une voiture soupçonnée d'avoir été "l'ouvreuse" d'un transport de cannabis. Mais ils n'ont pas saisi de drogue sur lui, n'ont pas relevé de mouvements de fonds suspects et ses coprévenus ne l'impliquent ni sur écoutes, ni par leurs dépositions.

Dénonçant "des risques de manipulation", l'avocat a donc demandé que soit précisée l'identité de la source policière. Une requête classique, selon plusieurs observateurs, tant les pénalistes concentrent leurs attaques sur les informations anonymes lorsqu'elles jouent un rôle déterminant.

Mais l'originalité du dossier vient de ce que, cette fois, Me Bidnic s'appuie sur une décision de justice. Le 16 mai dernier, la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Dijon a ordonné, par un "supplément d'information", que soit satisfaite sa demande "de révélation de l'identité précise" de cette source.

 

"Révéler le nom d'un indic est inimaginable"

Or, "révéler le nom d'un indic est inimaginable, ça ne se fait jamais. C'est une question de sécurité", souligne un responsable policier. Dans l'affaire Matallah, le principal enquêteur a donc refusé, opposant au juge le statut légal des indicateurs mis en place par la loi Perben II de 2004.

Mis en lumière par l'affaire Neyret, ce système remplace officiellement les arrangements passés avec les indics, qui pouvaient naguère être rémunérés par de la drogue saisie. Désormais enregistrés au Bureau central des sources, ils touchent de l'argent et leur anonymat est organisé par arrêté.

Dans l'affaire dijonnaise, deux arrêts de la Cour d'appel ont d'ailleurs relativisé en septembre la portée de la première décision, expliquant qu'il s'agissait seulement de "préciser la nature" de la source et non d'en dévoiler le nom.

Les enquêteurs s'appuient de leur côté sur une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation, rappelée par une note interne de la PJ, selon laquelle la protection de l'identité des informateurs relève du "secret professionnel". Ils peuvent donc l'opposer à la justice pendant l'instruction et à l'audience.

Mais Me Bidnic, pour qui l'arrêt de mai "n'a pas été exécuté alors qu'il était sans ambiguïté", ne désarme pas. "Si on interdit par principe à la justice d'identifier un indic, ce n'est plus un Etat de droit, c'est un Etat de police", déplore-t-il.

Sur le fond, devant le tribunal correctionnel, il plaidera la relaxe faute de preuves, au motif "que les éléments à charge le sont beaucoup moins quand on oublie les renseignements anonymes". Il contestera par ailleurs devant la Cour de cassation, par quatre pourvois distincts, la validité même de la procédure.

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