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Macron et Le Pen : deux langages au service de deux projets politiques

De par leur discours et leur gestuelle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen incarneraient deux visions du monde antagoniques. De par leur discours et leur gestuelle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen incarneraient deux visions du monde antagoniques. [© LIONEL BONAVENTURE / AFP]

Choix des mots, tournure des phrases, position des bras, expressions du visage... Les finalistes à la présidentielle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, se distinguent par un langage verbal et corporel bien spécifique.

Quels codes de langage et de gestuelle les deux prétendants à l'Elysée utilisent-ils pour convaincre ? Décryptage de la sémiologue Elodie Mielczareck, spécialiste de l'analyse du discours politique et auteure de Déjouez les manipulateurs - L'art du mensonge au quotidien (2016, éd. Nouveau Monde).

En préambule, une citation de mise en garde : «La puissance des mots est si grande qu’il suffit de termes bien choisis pour faire accepter les choses les plus odieuses», alertait Gustave Le Bon en 1895 dans son ouvrage prémonitoire sur le totalitarisme, Psychologie des foules.

Quelles différences entre les discours de Marine Le Pen et ceux d'Emmanuel Macron ?

«On a affaire à deux antipodes, ne serait-ce qu’en termes de structure linguistique. Prenons Emmanuel Macron : non seulement ses discours sont très longs, mais il a également tendance à faire des phrases dites «complexes», avec des tournures plus alambiquées, contenant beaucoup de subordonnées.

Selon un postulat linguistique, on s’exprime comme on est. Or, cette dimension intellectuelle, culturelle voire philosophique qu’on prête à Emmanuel Macron de par son parcours, on la retrouve d’un point de vue littéral dans ses discours. Il y a une sorte d’héritage philosophique, réflexif chez Emmanuel Macron et dans l’aménagement même de ses phrases. Mais c’est une dimension presque ornementale : le but est surtout de faire des jolies tournures.

A l’inverse, Marine Le Pen utilise davantage des phrases avec une structure de type sujet-verbe-objet. Ses discours sont courts, ses phrases sont plus simples, plus incisives, plus «cash». Elle arrive ainsi à moins diluer son propos.»

Deux façons de parler, donc deux conceptions de la politique ?

«Emmanuel Macron et Marine Le Pen incarnent deux visions du monde antagoniques. Ils s’adressent donc à deux auditoires construits en fonction de leur approche : plus réflexive chez l’un, plus directe chez l’autre. Il n’y a pas un discours qui est moins bien que l’autre, mais cela pose néanmoins la question de l’authenticité. Marine Le Pen parle du jour-le-jour, en utilisant un vocabulaire assez populaire («envoyer tout bazarder», «bon sang»…). Elle tient le discours de la quotidienneté, et donc de la proximité.

Emmanuel Macron, lui, adopte plus un discours de dissertation, très travaillé, qui peut parfois donner l’impression d’une certaine distance avec la population, d’une carence de liens concrets entre le candidat et son auditoire. L’enjeu principal d’Emmanuel Macron est aujourd’hui de sortir de ce cadre stéréotypé – son langage de lettré, ses références philosophiques – pour aller à la rencontre d’un électorat beaucoup plus ancré dans une autre réalité, dans une certaine forme de pragmatisme.»

Quels mots reviennent le plus dans leur discours ?

«Leurs propos tournent principalement autour de « valeurs ». Les deux candidats ont tendance à surutiliser des termes un peu abstraits et fourre-tout, comme «liberté», «identité», «peuple» ou «nation». Mais ils ne les utilisent pas de la même manière, il y a une temporalité différente : Marine Le Pen fait référence au passé, à l’histoire, à la civilisation, alors qu’Emmanuel Macron est plutôt tourné vers le futur, l’entreprenariat, le changement.

Les deux candidats dénoncent aussi un ennemi commun : le «système». Mais ils ne désignent pas la même chose : chez Emmanuel Macron, c’est le système partisan droite-gauche ; chez Marine Le Pen, c’est le système politico-médiatique, qui chercherait à l’exclure.»

Leur gestuelle est-elle symptomatique de leur discours ?

«Il n’y a pas de raison que les schémas qu’on trouve en langue ne soient pas les mêmes que ceux qu’on trouve dans le corps et la gestuelle. La structure syntaxique se retrouve dans la structure corporelle. Ainsi, Emmanuel Macron se trouve dans une forme de stéréotypie gestuelle : il a tendance à scander, à marteler les mots, à agiter ses deux mains pour ponctuer son propos. Ce qui lui donne un aspect répétitif, policé, presque caricatural.

Marine Le Pen, au contraire, adopte une pluralité de gestes, moins prévisibles. On a l’impression que sa gestuelle est presque plus vraie, plus naturelle, moins travaillée et apprise que celle d’Emmanuel Macron. Elle a une gestuelle plus «dialoguiste», c’est-à-dire qui accepte de discuter, comme si elle se trouvait en tête-à-tête avec son auditoire. En revanche, Emmanuel Macron semble plus à l’aise dans les bains de foule et les serrages de mains que sa concurrente, dont le sourire semble parfois un peu forcé.»

A qui peut-on comparer Emmanuel Macron et Marine Le Pen ?

«D’un point de vue un peu superficiel, la comparaison entre Emmanuel Macron et Barack Obama se tient : ils sont jeunes, font régulièrement des références au couple et à la famille, présentent des programmes libéraux et progressistes…

Concernant Marine Le Pen, la comparaison avec un Donald Trump, certes un peu éculée, reste légitime : elle prononce des phrases courtes, critique les médias, se présente comme agissant au nom du peuple. Sa stratégie de communication ressemble à celle du milliardaire. A ceci près que Trump est dans une rhétorique de la provocation, alors que Le Pen vise au contraire à dédiaboliser son parti, et donc à lisser son discours.

Marine Le Pen évoque également une symbiose avec la France : dans son clip de campagne, on la voit naviguer sur la mer, mais finalement – c'est une interprétation – elle navigue sur la «mère» (mère patrie, mère protectrice...). Si bien que «Marine» deviendrait «Marianne», qui représente la République.

Emmanuel Macron, lui, est un personnage presque prométhéen : il est celui qui va prendre le feu aux dieux pour l’apporter aux humains, il est celui qui casse les codes, qui va révolutionner la technique. Il y a chez les deux candidats un certain rapport à la mythologie

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