Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
DIMANCHE 4 JUIN
J’ai envie de revenir sur la victoire du Real Madrid contre la Juve, par 4 buts à 1, en finale de la Ligue des champions, hier à Cardiff. Tous les médias encensent Zidane, entraîneur exceptionnel, après avoir été un joueur tout aussi exceptionnel. On a raison : il est rarissime d’assister à de telles épousailles entre l’instinct, l’intuition, l’expérience, la bonne fortune, la persévérance – il a tout, cet homme, avec, en outre, un irrésistible sourire, vainqueur mais jamais condescendant. Il suffisait de le voir embrasser un à un ses joueurs, enlacer sa femme et ses enfants.
Ce qui me frappe le plus, dans ce concert unanime d’éloges, c’est que l’on ne parle plus, désormais, que de son sens de la tactique – voire de la stratégie – et que l’on oublie deux éléments pour compléter le portrait :
1. D’où vient-il ? D’où vient cet homme si réussi, élégamment vêtu, à l’aise dans ses conférences de presse ? Il vient d’un très modeste quartier «défavorisé» de Marseille, La Castellane – il n’a pas fait d’études, son père, gardien de moutons dans son village natal, en Algérie, puis employé dans le bâtiment, l’a toujours épaulé, alors que «Zizou» aurait pu dériver, comme tant d’autres jeunes de ces quartiers. Il n’avait aucune chance de grimper grâce à ce que l’on appelle bêtement «l’ascenseur social», mais son don pour le football l’a propulsé ailleurs. Ensuite, une fois ses années de Ballon d’or passées, il a patiemment suivi toutes les formations, les cours, pour obtenir ses diplômes d’entraîneur. Il était presque taiseux lorsqu’on l’interviewait. Il cherchait ses mots, timide dans son expression. Et voilà qu’aujourd’hui, il communique avec aisance, fluidité. Quel travail sur lui-même ! Quel chemin parcouru.
2. Il fut l’auteur d’un coup de tête contre la poitrine d’un certain Materazzi, en pleine finale de la Coupe du monde 2006, ce qui fit perdre les Bleus, le 9 juillet à Berlin. Minutes de honte. Tête baissée, renfermé sur sa colère et sa déception, il quitta le terrain, expulsé, victime de sa propre fureur, de sa perte de contrôle. Des millions de Français crièrent, à cet instant précis : «Oh ! non. Pas ça, pas lui !» Eh bien, malgré ce geste indigne, Zidane n’avait rien perdu, dans les jours et les semaines qui suivirent, de son immense popularité.
Personne ne sembla lui en vouloir. Il est vrai que, huit ans auparavant, grâce à cette tête si dure, il avait fait gagner la France contre le Brésil. Deux têtes gagnantes au Stade de France en 1998 effaçaient une tête perdante en 2006. Voilà ce qu’il faut garder en mémoire : la double vérité de Zinedine Zidane. De l’anonymat total à la gloire totale – même une gloire contrariée. Cela méritait, je crois, qu’on y revienne.
VENDREDI 9 JUIN
Nous voici donc à quarante-huit heures du premier tour des élections législatives. Il semble que Macron ne s’était pas trompé lorsqu’on lui demandait avec quelle Assemblée nationale il comptait gouverner, et qu’il répondait calmement qu’il obtiendrait la majorité nécessaire. On va donc, encore une fois, commenter cette lucidité dans la prévision de celui qui n’était alors que candidat.
Aujourd’hui président, il est, cependant, «attendu au tournant». Je sens, à l’énervement d’une partie des médias et aux saillies de ses opposants, qu’Emmanuel Macron pourrait bientôt subir la fameuse règle des «3 L» : «On lèche, on lâche, on lynche.» Mais j’entends aussi, souvent, cette autre phrase : «Donnons-lui une chance.» En réalité, il faudrait modifier la formule et dire en toute objectivité : «Donnons une chance à la France.» Les deux mots ont le mérite de rimer. Chance, France.