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Un usage «routinier» du gaz poivre par la police contre les migrants ?

Un policier poursuit un jeune homme suspecté d'être un migrant, dans les environs de Calais le 5 juillet 2017 [DENIS CHARLET / AFP] Un policier poursuit un jeune homme suspecté d'être un migrant, dans les environs de Calais le 5 juillet 2017 [DENIS CHARLET / AFP]

Human Rights Watch (HRW) dénonce dans un rapport publié mercredi l'usage «routinier» du gaz poivre par la police contre les migrants à Calais, y compris pendant leur sommeil, des accusations formellement démenties par les autorités.

«L’usage de sprays au gaz poivre par la police à Calais est tellement répandu que beaucoup de demandeurs d’asile et de migrants avaient du mal à se rappeler précisément combien de fois ils en avaient été victimes», souligne ce rapport intitulé «C'est comme vivre en enfer». Sur 61 migrants interrogés par l'organisation entre fin juin et début juillet, 55 avaient été aspergés au cours des deux semaines précédant l'entretien, et certains assuraient l'avoir été tous les jours, affirme son auteur, Michael Garcia Bochenek, interrogé par l'AFP.

«Les 55 avaient été aspergés dans leur sommeil», poursuit-il, indiquant avoir parlé à des groupes de «différentes nationalités» rencontrés dans «des lieux différents», mais dont la concordance des témoignages «montre qu'il y a un sérieux problème».

Le gaz poivre, non mortel, provoque cependant de fortes douleurs aux yeux et des difficultés respiratoires, durant trente à quarante minutes. Avec une valeur comprise entre 2.000.000 et 5.300.000 unités sur l'échelle de Scoville (le classement de la force des piments), il est plus irritant que le Carolina Reaper, le piment naturel le plus fort du monde (entre 1.569.300 et 2.200.000 unités).

De plus, la nourriture et l'eau aspergées ne peuvent plus être consommées, tandis que les couvertures ainsi que les duvets doivent être lavés avant de pouvoir être réutilisés.

Des «allégations mensongères et calomnieuses»

«On est dans des pratiques qui s'inscrivent dans la routine, sans qu'il y ait de sanctions, alors que ce sont des abus graves», contraires au code de déontologie policière et aux traités internationaux relatifs aux droits de l'Homme, dénonce à l'AFP Bénédicte Jeannerod, la directrice de HRW-France. Ce rapport fait écho aux inquiétudes d'associations liées au durcissement des forces de l'ordre à l'égard des migrants revenus à Calais après le démantèlement de la «Jungle» en octobre.

Le préfet du Pas-de-Calais Fabien Sudry a «réfuté catégoriquement les allégations mensongères et calomnieuses» contenues dans le rapport de HRW, qui «ne reposent sur aucun fondement vérifié». «Les forces de police agissent bien entendu sur Calais dans le respect des règles de l’État de droit, avec le seul objectif de faire respecter l’ordre et la sécurité publics», ajoute le préfet.

«Dossier à charge»

«C’est un dossier à charge», a pour sa part réagi David Michaux, secrétaire national du syndicat UNSA Police chargé des CRS, pour qui «les CRS n’ont plus de contacts avec les migrants». «On les repousse de temps en temps lors des tentatives d’intrusion à l’aide de gaz lacrymo mais c’est de plus en plus rare», a-t-il affirmé à l'AFP.

Selon Mme Jeannerod, la police «pulvérise aussi du produit sur leurs sacs de couchage, leurs vêtements», ce qui conduit les migrants à «toujours bouger» pour échapper aux gaz et à ne dormir que «de courtes périodes». «Chaque jour, la police nous poursuit. Ils utilisent leurs sprays. Ils nous donnent des coups de pied. C’est ça notre vie, tous les jours», raconte Waysira, un adolescent oromo, une ethnie éthiopienne, cité dans le rapport.

«Ces mesures visent à faire fuir les migrants et les dissuader de se rendre à Calais», estime Mme Jeannerod. Le rapport, qui pointe également l'usage de gaz poivre contre des humanitaires, dénonce un harcèlement de ces derniers via des contrôles d'identités répétitifs. «Des policiers confisquent ou détruisent la nourriture, l’eau et les couvertures, mais ils empêchent aussi régulièrement la délivrance d’une assistance humanitaire, et ce apparemment sans aucun motif légal», regrette HRW.

Une «traque» des migrants

Le Défenseur des droits Jacques Toubon s'était inquiété mi-juin d'atteintes aux droits «d'une exceptionnelle et inédite gravité» à Calais, mentionnant une «traque» des migrants et exhortant les pouvoirs publics à «ne pas s'obstiner dans ce qui s'apparente à un déni d'existence des exilés». 

Le 23 juin, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, en visite à Calais, avait rendu hommage aux forces de l'ordre qui travaillent avec «beaucoup d'humanité» dans des conditions "pas toujours faciles". «Il n'y a pas d'un côté les policiers, les gendarmes qui seraient agressifs et de l'autre des migrants qui seraient d'une douceur légendaire», avait-il fait valoir.

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