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La semaine de Philippe Labro : la violence des uns, la douceur des autres

«Cinquante-huit vies foutues. Cinquante-huit familles détruites.»[AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

LUNDI 2 OCTOBRE

La semaine a commencé dans le sang. Celui de deux innocentes, deux jeunes Françaises souriant aux promesses de la vie, à l’amour, aux études, à leurs ambitions – deux victimes d’un homme qui, sans doute, n’aurait jamais dû se trouver en liberté, sur le parvis de la gare Saint-Charles, à Marseille, dimanche après-midi.

Et puis, le sang de cinquante-huit spectateurs d’un concert, en pleine nuit à Las Vegas, aux Etats-Unis. Cinquante-huit vies foutues. Cinquante-huit familles détruites. Il s’est passé ce qu’on appelle, là-bas, un «mass shooting» (une tuerie de masse) – l’Amérique en a connu 275 en 273 jours ! La statistique est tellement ahurissante, obscène, qu’on a du mal, ici, en Europe, à accepter l’idée que les Américains continuent de privilégier et de défendre la vente libre d’armes de tout calibre, n’importe où, n’importe quand, à n’importe qui.

Ahmed Hanachi, le tueur de Marseille, et Stephen Paddock, le cinglé de Vegas, n’ont rien en commun, leurs motivations diffèrent. Il n’y a strictement, pour l’heure, aucune raison de croire que Paddock a planifié, organisé, exécuté son forfait, depuis le 32e étage de l’hôtel Mandalay Bay, pour obéir à une quelconque directive de Daesh – le FBI a raison d’écarter la revendication bidon des jihadistes. En revanche, Hanachi, à Marseille, a associé son geste fatal au terrorisme islamiste. Rien de semblable, donc, entre ces deux horreurs. Sauf ceci : la «violence contemporaine», formule que l’on a trop hâtivement reprochée au président Macron.

MERCREDI 4 OCTOBRE

Marcher dans Paris, dans la douceur d’un automne qui ressemble à un été indien, offre parfois toutes sortes de jolies surprises. Ainsi, à 16h et quelques, près de la place Saint-Sulpice, au cœur de la rive gauche, je reconnais, attendant que le feu passe au rouge, l’allure d’un grand corps toujours un peu embarrassé de lui-même, qui se trouve être un prix Nobel de littérature. Oui, c’est bien le romancier Patrick Modiano, vêtu d’une veste légère sur un gilet bleu, que j’embrasse et avec qui, sur le trottoir, j’engage la conversation. Il s’apprête à publier, chez Gallimard, son premier livre d’après-Nobel, dont le titre Souvenirs dormants, est plus «modianesque» que jamais. Je retrouve et apprécie l’humilité souriante de cet homme, sa recherche des mots, son recours constant à l’adjectif «bizarre».

Tout paraît «bizarre» à celui dont le prix Nobel, en 2014, vit surgir un sentiment unanime de fierté en France et qui, même s’il se protège de trop de médiatisation, sait que, dès la sortie du livre, le 26 octobre prochain, il sera sollicité de toute part. Sa haute taille et ses grands gestes, qui l’avaient, dès sa première apparition dans un Apostrophes de Pivot, distingué des autres invités, demeurent. La célébrité, voire la gloire (ce n’est pas rien, un prix Nobel !) ne l’ont pas changé. Je le quitte en me dirigeant vers l’une de mes boulangeries favorites, où l’on vend des «punitions», petits sablés ronds et cuits très forts. C’est délicieux à croquer quand on déambule le long des terrasses encombrées de Parisiennes et de Parisiens qui profitent de la tendresse du moment. Marseille et Las Vegas sont-ils loin de ces gens ? Et la Catalogne ? Ont-ils le droit d’oublier, ne fût-ce qu’un instant, la violence d’une info ? Toute la difficulté de nos vies consiste à concilier la brièveté d’un petit bonheur avec la lourdeur des images et des chiffres du malheur.

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