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Attentats du 13 novembre 2015 : «Il est très important pour tous de se souvenir»

L'association Life For Paris, qui rassemble les victimes des attentats de Paris et leurs proches, répond aux questions de CNews Matin. [PHILIPPE LOPEZ / AFP]

A l'approche des 2 ans des attentats jihadistes qui ont frappé Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, Alexis Lebrun et Lola Merlos de l'association Life For Paris ont répondu aux questions de CNEWS Matin.

Votre association vient en aide aux victimes du Bataclan et à leurs proches, qu'est-ce qu'être une victime deux ans après les faits ?

[Alexis Lebrun] Il est compliqué de faire une réponse générale. C’est très personnel pour chaque personne. Certains essayent de se détacher complètement de ce statut de victime, alors que pour d’autres cela est plus difficile. Ce qui est sûr en revanche, c’est que, deux ans après, il y a encore énormément de dossiers qui sont toujours en cours que ce soit au niveau juridique ou au niveau médical.

Concernant l'aspect juridique, on peut également indiquer qu’il y a une instruction en cours. Un procès des attentats du 13 novembre, pour lequel notre association s’est d’ailleurs constituée partie civile, sera donc organisé mais pas avant plusieurs années. 

Qu’attendent justement les victimes de ce procès ?

[Alexis Lebrun] Il est trop tôt pour le dire. On pourra répondre à cette question à l’approche de sa tenue, mais pour le moment nous n'avons aucune date. 

En attendant, le principal prévenu (Salah Abdeslam, ndlr) reste silencieux et donc, honnêtement, nous ne savons pas ce qu’on peut en attendre à ce stade.

Quel est le quotidien des victimes aujourd'hui ?

[Alexis Lebrun] Il y a des victimes qui ont besoin de traitements lourds à domicile, d’autres, une vingtaine selon nos informations, sont encore hospitalisées. D’autres encore ne peuvent plus vivre dans leur appartement à cause de leur handicap.

A cela, il faut ajouter bien sûr les formalités administratives. Il y a eu un grand travail de fait par le gouvernement précédent pour faciliter les démarches mais il reste beaucoup de chemin à faire.

En France on a la chance d’avoir beaucoup de dispositifs d’aides, mais le problème c’est que ca n’est pas toujours lisible ou même connu des gens. Il y a par conséquent beaucoup d’interlocuteurs et il est difficile de s’y retrouver. Du coup, des associations comme la nôtre ont dû pallier aux manquements de l’Etat pour les orienter. C’est un vrai parcours du combattant.

Quels sont vos principaux combats ?

[Alexis Lebrun] Il y a d'abord les frais médicaux en lien avec les attentats. Il faut savoir que lorsqu'on est victime d'un attentat, une attestation nous est remise. En la présentant à chaque consultation, celle-ci nous permet d’être intégralement remboursé.

Au départ, ces remboursements par l’assurance maladie ne duraient qu'un an. Nous nous sommes battus pour les faire prolonger d’une année supplémentaire. Cette prolongation a été acceptée mais arrive aujourd'hui à échéance. Notre lutte est donc de la faire prolonger une fois de plus.

Car il n’y a pas que les blessures physiques mais également toutes celles qui sont psychologiques. On se bat donc pour que les gens n’aient pas à les prendre en charge parce que c’est tout aussi indispensable et que ça coûte cher.

C'est donc un dossier prioritaire auquel doit s'atteler le gouvernement ?

[Alexis Lebrun] Oui bien sûr, mais la question du retour à l'emploi est également essentielle et là aussi des progrès sont à faire. Beaucoup de nos membres souhaitent par exemple se reconvertir. Et si - en temps normal - c'est déjà difficile de se reconvertir professionnellement ça l’est encore plus quand on est victime d'un attentat.

Il faut absolument trouver des solutions pour faciliter le retour à l’emploi des victimes d’attentat par l’Etat. Aujourd’hui on est encore au stade du travail et il n’y a pas eu d’avancées à ce sujet.  

Que faudrait-il faire concrètement pour faciliter le retour à l’emploi des victimes d’attentat ?

[Alexis Lebrun] La question du financement des formations est essentielle. Lorsque vous êtes victime d’un attentat et sans emploi et que vous souhaitez vous reconvertir, vous n’êtes pas forcément bien reçu ou en tout cas vous n’êtes pas encouragé dans cette voie.

Nos membres nous ont fait part de difficultés lorsqu'ils évoquent ce besoin de reconversion avec Pôle Emploi par exemple. Il y a aussi, je pense, un changement d’état d’esprit à avoir.

Comment expliquez-vous ce besoin de reconversion chez les victimes d’attentat ?

[Alexis Lebrun] Beaucoup de victimes ne sont tout simplement pas en mesure d’assurer le travail qu’elles faisaient avant. Que ce soit du fait de la pression qu'elles ne peuvent plus supporter ou parce qu’elles n'arrivent plus à se concentrer sur leur tâches. Des victimes ne sont aussi parfois plus capables de prendre les transports.

Il y a aussi des gens qui souhaitent se reconstruire en faisant tout autre chose, qui veulent donner un autre sens à leur vie. C'est propre à chacun mais le phénomène n’est pas marginal dans notre association.

Comment jugez-vous l'action du gouvernement sur toutes ces questions ?

[Alexis Lebrun] Le calendrier, avec les élections présidentielles, n'a pas joué en notre faveur. Sous le précédent quinquennat de François Hollande, nous avions un secrétariat d’Etat aux victimes - donc un ministère dédié - avec une Secrétaire d'Etat (Juliette Méadel, ndlr) ce qui nous a permis d’avancer sur un certain nombre de sujets, comme la prise en charge des frais médicaux que nous évoquions mais aussi sur d'autres questions.

On a ainsi beaucoup avancé entre février 2016 et avril 2017. Mais ce secrétariat d'Etat, ainsi que le secrétariat général qui y était attaché, ont été supprimés après la présidentielle. La période qui s'en est suivie a donc été un peu tendue et nous avions d'ailleurs écrit à Emmanuel Macron pour nous en émouvoir.

Finalement c’est une déléguée interministérielle aux victimes qui a été nommée (Elisabeth Pelsez, ndlr) et avec qui on a commencé à travailler. Mais le problème c’est qu’on a perdu du temps, il ne s’est pas passé grand-chose entre avril et septembre dernier alors que nous sommes sur des problématiques urgentes. La transition n’a ainsi pas été des plus fluides.  

Le Comité interministériel d’aide aux victimes doit justement se réunir ce vendredi 10 novembre, qu’en attendez-vous ?

[Alexis Lebrun] Le Premier ministre Edouard Philippe réunit les différents ministères concernés mais les associations ne sont pas conviées.

Quoi qu'il en soit, le but du Comité est de discuter des problèmes et des avancées à réaliser sur les différentes questions. Comme vous pouvez le constater, ce Comité se réunit à trois jours des commémorations. Le dernier en date s’était réuni en juillet, juste avant celles de Nice. Nous ne sommes pas sûrs qu’il s’agisse d’une régularité suffisante.

Sous le gouvernement précédent, les réunions de ce type étaient plus fréquentes. Encore une fois, nous ne pouvons pas vous dire ce que l’on peut attendre de ce comité sachant que nous ne sommes pas conviés.

Pensez-vous que le gouvernement est rattrapé en quelque sorte par le calendrier ?

[Alexis Lebrun] Je laisse chacun à son appréciation. Mais encore une fois le fait est que le premier Comité du nouveau gouvernement a eu lieu juste avant les commémorations de Nice et que le deuxième a lieu juste avant celles des attentats de Paris. Pour moi ce n’est pas une coïncidence du calendrier.

Il y a pourtant eu des avancées, deux nouveaux préjudices, celui d'angoisse de mort imminente et celui d'attente et d'inquiétude ont été reconnus en septembre dernier...

[Lola Merlos] C'est vrai, ces deux préjudices ont effectivement été reconnus par le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, ndlr) mais, dans la pratique, cette reconnaissance reste encore très partielle.

Pour le préjudice d’angoisse, par exemple, (subi directement par les personnes présentes sur les lieux d'attentats alors que le préjudice d'attente et d'inquiétude est vécu par leurs proches, ndlr), lorsque la victime est décédée l'indemnisation se monte entre 5.000 et 30.000 euros pour les ayants-droit.

Les victimes bléssées (psychologiquement ou physiquement) peuvent, elles, prétendre à une indemnisation qui varie entre 2500 et 5000 euros mais doivent au prélable se soumettre à une expertise médicale.

Nous nous battons pour que cette indemnisation se fasse non pas sur la base de cette expertise médicale qui est subjective mais sur des critères objectifs, comme, par exemple, le temps d’exposition à la menace terroriste, les circonstances ou même le lieu de l'attaque.

Il faut signaler enfin que la reconnaissance de ces deux nouveaux préjudices n’est pas rétroactive. En clair, les victimes qui avaient déjà clôturé leur dossier auprès du fonds de garantie ne peuvent plus prétendre à ces deux nouveaux préjudices. 

La fondatrice de SOS attentats, Françoise Rudetzki, a évoqué la création d’un «centre de ressources et de résilience» pour les victimes d'attentats. Qu’en pensez-vous ? 

[Alexis Lebrun] Nous ne pouvons que saluer l’idée d’un tel centre mais il faut que le projet soit soutenu au niveau gouvernemental parce que, encore une fois, la question du financement va se poser.

Dans le même temps, la question financière ne devrait pas entrer en ligne de compte sur un sujet aussi grave. 

Françoise Rudetzki, qui est la marraine de notre association, a par ailleurs joué un rôle primordial au sein de notre structure de par son expérience et son vécu. Son expertise nous a été inestimable.

Si vous aviez un message à faire passer, qu'est-ce que ce serait ?

Nous organisons une commémoration lundi 13 novembre, soit deux ans jour pour jour après les attentats, à 12h30 devant la mairie du 11e arrondissement.

Il s'agit d'une commémoration complémentaire des commémorations officielles. Ce sont des commémorations ouvertes à tous. Il est très important pour tout le monde de se retrouver et de se rassembler en mémoire de toutes les victimes des attentats. 

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