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La semaine de Philippe Labro : la passion de Johnny, la sagesse de Jean d’O

Les deux icônes nationales ont disparu en l’espace de quarante-huit heures.[AFP / ARCHIVES]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

DU LUNDI 4 AU JEUDI 7 DÉCEMBRE

Cruelle coïncidence, étrange synchronie, ou alors est-ce la main du «flûtiste invisible» ? Deux icônes nationales disparaissent en l’espace de quarante-huit heures.

Le méga-phénomène de la mort de Johnny Hallyday n’efface pas tout à fait le retentissement de la disparition de Jean d’Ormesson – mais enfin, l’un, Johnny, avait accédé aux couches les plus profondes et universelles de l’âme d’un peuple, tandis que l’autre, Jean d’O, même si la télévision l’avait rendu «célèbre», s’adressait aux amoureux de la littérature. Il est vain de s’essayer à des comparaisons, mais je retiens ceci, tout de même : ils avaient, tous les deux, les yeux clairs, bleus, perçants, qui séduisaient ceux qui avaient la chance de les rencontrer. L’un, Jean d’O, avait reçu l’ADN du bonheur, une propension inouïe au sourire et à l’hédonisme, tandis que l’autre, Johnny, avait reçu un ADN bien plus complexe, fait de solitude, de sens de l’abandon. Il faut reconnaître à Laeticia, sa femme, admirable de courage, de patience et de persévérance, d’avoir apporté à Johnny ce mélange de solidité, d’équilibre et d’amour, qui lui avait si souvent manqué. Je pense à elle, beaucoup, aujourd’hui, car, avec Joy et Jade, leurs filles, elle se retrouve sans son «homme», tel qu’elle l’a écrit dans son émouvant message d’annonce. Je pense à David et Laura – je les ai connus bébés, tous les deux, puis gamins, puis adolescents. Leur vie d’adulte a été hantée par la présence de ce père, qu’ils aiment et admirent.

Je revois mon ami Johnny dans tant de circonstances : par exemple, dans les années 1970, quand nous avons, avec de formidables musiciens (Tommy Brown, Micky Jones et Gary Wright), façonné un album entier, Flagrant délit,et un autre, Vie, et comment la présence de Johnny rendait tout facile. On m’a souvent demandé :

– Comment c’était de travailler avec lui ?

Et l’honnêteté m’a toujours poussé à répondre :

– C’était assez facile. Il était ouvert à tout, à toutes les idées, à toutes les propositions. Sauf que, si quelque chose ne lui convenait pas, sans même expliquer pourquoi, il le rejetait. C’était son instinct qui parlait, son intuition. Hallyday se trompait rarement dans ses choix, car il ne se trompait pas sur ce qu’aimait le public.

Ah, son public ! Tout le monde dit : c’est la France entière. Je ressens comme une immense satisfaction face à cette unanimité. Ça n’a pas toujours été le cas – tant de critiques, caricatures, moqueries, ironies faciles, mépris ou hauteur de vue de gens qui n’avaient pas compris (pas encore !) les racines populaires de mon ami. Et puis, peu à peu, au fil des décennies, Johnny Hallyday a imposé cette définitive certitude : star numéro un, idole, icône, incontournable témoin-chanteur de plus de cinquante années de vie en France. La mort grandit encore son image, accentue sa légende et élargit le champ des souvenirs.

Ainsi, je me souviens de sa marche, au Parc des Princes, au milieu de la foule, alors que Jean-Claude Camus, son manager, luttait pour le protéger des nuées de fans – ils ont eu un peu peur tous les deux. «C’était chaud, devait-il me confier, j’avais hésité, mais que veux-tu, il faut risquer, et, surtout, toujours faire ce qui n’a jamais été fait.»

J’ai voulu relire le discours de réception de Jean d’Ormesson à l’Académie française, en 1974, alors qu’il succédait au fauteuil de Jules Romains. Certaines phrases peuvent s’appliquer au tsunami d’émotion qui submerge les gens : «Il y a plus fort que la mort : la présence des absents dans la mémoire des vivants. Les absents vivent à jamais dans l’esprit et le cœur de ceux qui se souviennent.» Et c’est ainsi que se rejoignent les deux grands disparus de cette invraisemblable semaine. Demain, l’hommage populaire à Johnny écrira le chapitre d’un des plus beaux romans de la chanson française. 

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