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Adeline Toullier (Aides) : «La loi asile et immigration met en danger de mort les migrants LGBT et séropositifs»

Adeline Toullier est directrice du Plaidoyer au sein de Aides. [DR].

Alors que le projet de loi asile et immigration est en débat au parlement, plusieurs associations accompagnant les étrangers dénoncent un recul des droits. Parmi elles, Aides, qui vient en aide aux LGBT et aux migrants atteints par le VIH. Rencontre avec Adeline Toullier, directrice au sein de la structure.

En quoi le projet de loi asile et immigration constitue-t-il selon vous un danger à l'égard des réfugiés LGBT et des migrants porteurs du VIH ?

Ce projet de loi, sous prétexte d'efficacité, de rapidité dans le traitement des demandes notamment, procède à une série d'atteintes aux droits fondamentaux des personnes étrangères.

Concernant les personnes LGBT, la réduction envisagée des délais de demande d'asile et de recours ne va pas leur permettre de formuler leur demande dans de bonnes conditions.

Elles n'auront, par exemple, pas le temps d'apporter les preuves de leur engagement militant ou d'apporter toute autre pièce qui prouverait qu'elles sont menacées dans leur pays d'origine. 

Je rappelle qu'aujourd'hui encore, il y a 72 Etats dans le monde qui pénalisent l'homosexualité. Dans ces pays, les LGBT encourent des peines pouvant aller de l'amende à la peine de mort. 

Ensuite, pour ce qui concerne les personnes porteuses du VIH, qu'elles soient d'ailleurs homosexuelles ou non, alors qu'aujourd'hui elles peuvent bénéficier du droit au séjour pour raison médicale (les personnes touchées par une pathologie grave et qui ne peuvent pas se soigner dans leur pays d'origine peuvent bénéficier d'un titre de séjour d'un an, ndlr), si la loi passe, les personnes qui feront une demande d'asile - si elles sont déboutées de ce droit - ne pourront plus, par la suite, faire une demande de séjour pour raison médicale. 

Pouvez-vous nous donner un exemple concret ?

Une personne homosexuelle et séropositive fait une demande d'asile parce qu'elle considère être persécutée dans son pays en raison de son orientation sexuelle, si elle mentionne le VIH dans sa demande d'asile et bien elle ne pourra plus, après coup, en cas de refus, faire une demande de titre de séjour pour raison médicale. 

Or, près de 39% des détenteurs d’un titre de séjour pour soins ont vu auparavant leur demande d’asile rejetée (rapport de la mission IGA-IGAS sur « l’admission au séjour des étrangers malades » de 2013). Cette loi la laisserait ainsi sans recours possible et expulsable vers son pays d'origine où, bien souvent, elle serait en danger de mort, faute de traitements et d’un suivi efficaces disponibles.

En outre, l’allongement de la durée de rétention jusqu’à 135 jours et la réduction des délais de demande d’asile et de recours vont restreindre les possibilités pour les personnes de faire valoir leur état de santé, leur orientation sexuelle ou identité de genre comme motifs de séjour, et donc particulièrement impacter les demandeurs d’asile LGBT.

Que demandez-vous au gouvernement ?

Nous considérons qu'il n'y a rien à garder dans ce projet de loi. Nous demandons par conséquent la suppression pure et simple de toutes les dispositions qui portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes, que ce soit en matière d'asile et d'immigration ou de protection de la santé. 

Ce texte stigmatise par ailleurs des populations déjà fragiles et alimente les idées reçues. En ce qui concerne les personnes gravement malades et touchées par le VIH, il faut savoir qu'une part importante d'entre elles se contamine en France.

Il ne s'agit pas de personnes qui viennent se soigner en France. Leur exil est le plus souvent motivé par des raisons économiques ou d'ordre politique.   

Une enquête a ainsi démontré que 49 % des migrants d'Afrique sub-saharienne porteurs du VIH se sont contaminés en France. 

Comment expliquez-vous cette situation ?

Par la précarité administrative et sociale que rencontrent ces personnes durant leurs premières années d'installation en France. 

Ca peut être, par exemple, le cas d'une femme d'origine sub-saharienne qui arrive de manière isolée dans notre pays.

Sans soutien, sans proches, elle peut vite se retrouver obligée à consentir à des faveurs sexuelles comme une monnaie d'échange ou au titre d'une quelconque compensation. Et lorsqu'on est une femme isolée, on n'a pas vraiment de marge de négociation pour, le cas échéant, imposer le port du préservatif

En d'autres termes, la précarité sociale et administrative entraîne chez ces personnes une surexposition au risque de contamination par le VIH. Et le projet de loi, en accentuant ces précarités, augmente encore un peu plus le risque de contamination.

Que faudrait-il faire selon vous vis-à-vis de ces populations dans ce cas ? Quelles actions concrètes faudrait-il mettre en place ?

Les solutions sont finalement assez simples. Il faudrait déjà appliquer pleinement et strictement le dispositif du droit au séjour pour raison médicale.

C'est bien sûr, aussi, l'application d'un réel droit d'asile pour toutes les personnes qui sont menacées dans leur pays d'origine, notamment en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

C'est enfin l'application stricte de la convention de Genève, tout cela dans des conditions d'application qui soient réalistes et respectueuses de ces droits fondamentaux. 

Vous avez organisé, mardi 17 avril, un rassemblement devant le musée de l’histoire de l’immigration à Paris pour alerter l’opinion publique. Pourquoi avoir précisément choisi cet endroit ? 

Parce qu'il constitue un symbole fort de l'histoire de l'immigration en France, bien sûr. Mais aussi parce qu'il y a à proximité une statue, juste à l'angle des avenues Daumesnil et Rousseau, qui représente un homme en train de nager.

Pour nous cette statue incarne parfaitement le désespoir de toutes ces personnes qui franchissent notamment la Méditerranée en quête d'une terre d'accueil. Il nous paraissait important de rappeler ce symbole des morts en Méditerranée qui illustre toutes les tragédies engendrées par les politiques migratoires. 

Plus largement, quel état des lieux pouvez-vous dresser du sida, aujourd'hui, en France ? 

Aujourd'hui, on estime à 150.000 le nombre de personnes qui vivent avec le VIH en France et on dénombre environ 6.000 nouvelles contaminations par an. 

D'un côté on a assisté ces dernières années à des progrès thérapeutiques significatifs avec notamment moins d'effets secondaires.

Mais, de l'autre, la perception de la maladie reste toujours extrêmement négative. Les stigmatisations, les discriminations, les représentations erronées sont très persistantes. Elles sont encore dues le plus souvent à une méconnaissance des modes de contamination.

Par ailleurs, moins de 5 % de la population française sait qu'une personne séropositive qui prend correctement son traitement n'est plus contagieuse même sans préservatif. Il y a encore un gros travail d'information à faire.

Enfin, pour ce qui concerne un éventuel vaccin, cela prendra encore beaucoup de temps avant d'en avoir un. Aujourd'hui, nous sommes encore dans une phase d'avancées thérapeutiques. On avance pas après pas. 

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