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«Face aux droites, nous portons une troisième voie, sociale et écologique», selon Manon Aubry, tête de liste LFI

La candidate de 29 ans, europhile convaincue, insiste sur la nécessité de relancer la coopération européenne sur le plan social et écologique. [© JOEL SAGET / AFP]

Un héritage d’activiste assumé. A cinq jours des élections européennes, Manon Aubry, chargée par Jean-Luc Mélenchon de conduire la liste de La France insoumise, veut croire à un sursaut de la gauche.

Novice en politique, cette ancienne porte-parole d’Oxfam (ONG spécialisée dans la lutte contre l’évasion fiscale) est actuellement la quatrième force du scrutin, avec 10 % d’intentions de vote, derrière le RN (24 %), LREM (22,5 %) et LR (12,5 %). La candidate de 29 ans, europhile convaincue, insiste sur la nécessité de relancer la coopération européenne sur le plan social et écologique. Quitte à devoir mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Pourquoi avoir quitté la société civile pour vous lancer en politique ?

J'ai passé des années à essayer de faire boire des ânes qui n'avaient pas soif, à tenter de convaincre ministres et élus de la nécessité – et de la possibilité – de mettre en œuvre des mesures de lutte contre l'évasion fiscale. Mais je me suis heurté au poids des lobbies et à un manque total de volonté politique. Forte de cette frustration, j'ai réalisé que le mieux était de traduire politiquement mon engagement associatif. Le fait que LFI m’ait désignée révèle d’ailleurs une forme d’audace et une volonté d'ouverture, de fédérer toutes les forces vives. 

Quels sont les enjeux de ces élections ? Et vos priorités ?

L'UE, au lieu d'être un gage de coopération, est devenue un cadre de compétition. Fiscale, d’abord, à cause des paradis fiscaux comme le Luxembourg ou l'Irlande. Au rythme actuel, les grandes entreprises ne paieront plus un euro d'impôt en 2050. Il faut lutter contre ce fléau en listant et en sanctionnant les vrais acteurs de l’évasion fiscale. Dans l’UE, la compétition est également sociale, notamment du fait du statut des travailleurs détachés, qui ne donne pas les mêmes droits à toutes les personnes pourtant embauchées dans le même pays. A la place, nous voulons instaurer un Smic européen, à hauteur de 75 % du salaire médian de chaque Etat membre. Troisième priorité : la transition écologique, avec un objectif de 100 % d’énergies renouvelables d’ici à 2050. Nous ne sommes pas pour une écologie punitive, à l’image de la taxe carbone, qui consiste à faire les poches du plus démunis, mais pour une écologie populaire, qui fait payer les plus gros pollueurs. Nous défendons par exemple le protectionnisme solidaire : plus le produit vient de loin, plus il est taxé.

Emmanuel Macron est en réalité le marchepied de l'extrême droite.Manon Aubry

Aujourd'hui, tous les partis semblent vouloir prioriser l'écologie…

L'important, c'est d'être cohérent. LREM se repeint en vert, mais soutient les accords de libre-échange et défend l'utilisation des pesticides. Et Jérémy Decercle [président des Jeunes Agriculteurs], pro-Monsanto et fervent soutien du glyphosate, est en quatrième position sur sa liste. Où est la cohérence ? Ce qui fait la singularité de LFI, c'est que nous jugeons que la lutte contre le changement climatique doit devenir la boussole de toutes nos politiques. Pour cela, il faut remettre en cause les traités européens, car ils nous empêchent d'investir les dizaines de milliards d'euros nécessaires à la transition écologique et à l’essor des énergies renouvelables. Rappelons que l’on peut très bien vivre avec 3 % de déficit, pas avec 3 °C de réchauffement.

Sortir des traités, justement, est-ce une proposition réaliste ?

C’est une proposition pragmatique. Avec les règles européennes actuelles du «tous contre tous», on ne peut pas faire l'Europe sociale et écologique qui avait été promise. Avec l’aide de nos alliés, comme Podemos en Espagne ou le Bloc de gauche au Portugal, nous voulons donc désobéir à ces règles au nom de cette ambition citoyenne et solidaire. C'est la vision la plus réaliste des choses, car la seule qui se donne les moyens de mettre en œuvre notre projet.

Est-il possible d’incarner La France insoumise sans être dans l’ombre de Jean-Luc Mélenchon ?

Je ressens de la bienveillance à mon égard et un enthousiasme de la part des militants. LFI est aujourd'hui incarnée par différentes voix, comme les députés Adrien Quatennens, François Ruffin, Danièle Obono... Chacun a son style, j'ai le mien. Jean-Luc Mélenchon a été vigilant à me laisser toute la place dans cette campagne. Demain, pour le débat sur France 2, le RN envoie sa patronne Marine Le Pen, LR son président Laurent Wauquiez, LREM son délégué général Stanislas Guérini... Pour LFI, c'est moi qui y vais. Preuve que la confiance est là. Je ne suis pas une tête de liste potiche !

La défection du conseiller régional LFI Andréa Kotarac vers le RN a fait beaucoup de bruit...

C'est une polémique qui n'est en rien représentative du mouvement. Nous faire le procès d'un rapprochement entre LFI et le RN est une véritable honte pour la démocratie, qui est un débat d’idées et de projets, et non pas l'instrumentalisation politique et médiatique d'un parfait inconnu. Cela me met en colère, car j'ai grandi à Fréjus, la plus grande ville tenue par le RN, et mon engagement est né de la lutte contre l'extrême droite.

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© Pascal GUYOT / AFP

Pourquoi le duel RN-LREM annoncé est-il un «duo», selon vous ?

On nous rejoue le second tour de l'élection présidentielle. Emmanuel Macron se pose comme le seul rempart à l'extrême droite – c’est «moi ou le chaos» – alors qu’il est en réalité son marchepied : ce sont les politiques libérales qui créent elles-mêmes ce vote de colère en faveur du RN. La vraie proximité est entre la droite – dont LREM – et l'extrême droite, qui s'alimentent comme des adversaires de confort. Qui est pour laisser les migrants mourir en mer ? Qui est contre la hausse du Smic et le partage des richesses ? LREM et le RN ! LFI veut porter une troisième voie, sociale et écologique.

On peut très bien vivre avec 3 % de déficit. Pas avec 3°C de réchauffement climatique.Manon Aubry

Dès lors, appelez-vous à un référendum anti-Macron ?

Oui. Le président l'a dit lui-même : s'il sortait affaibli de ce scrutin, il le serait pour faire appliquer la suite de ses réformes. Qui, ne l’oublions pas, sont pour beaucoup exigées par l’UE : casse des retraites, refonte du code du travail, coupes budgétaires dans les services publics, privatisation des barrages… Cela dit, cette élection est surtout un référendum ni-LREM ni-RN, car l’extrême droite n'est ni le rempart ni la réponse à une politique antisociale.

Les sondages vous créditent de 8 à 10 % d’intentions de vote. Etes-vous déçue ?

Non. Partis de plus bas, nous sommes sur une dynamique, et les seuls en capacité de s’opposer aux trois nuances de libéralisme défendues par les premières listes. Je voudrais dire aux abstentionnistes de ne pas se laisser voler ce scrutin, car les électeurs macronistes, eux, vont se déplacer. L'UE est omniprésente dans notre quotidien, à travers les normes alimentaires, nos droits sociaux, nos transports publics... A nous d'en reprendre le contrôle. Plus la mobilisation sera forte, plus le score de LFI sera élevé.

La gauche apparaît très fragmentée pour ce scrutin. A qui la faute, selon vous ?

Nous, les Insoumis, avons essayé de rassembler le plus largement possible et, à voir la diversité de nos candidats, notre liste est une belle réussite. Il y a Emmanuel Maurel, ex-frondeur du PS, Sergio Coronado, qui vient des Verts, Farida Amrani, ancienne communiste, des candidats issus de la société civile… Nous avons certes encore des divergences avec le reste de la gauche, mais au moins, notre ligne politique est très claire.

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