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Isolées, plus pauvres, oubliées des politiques... La Fondation Abbé Pierre alerte sur le sort des personnes seules face au mal-logement

Les ménages isolés sont confrontés à une pénurie de logements plus forte comparé aux autres ménages. [Mehdi Fedouach / AFP].

Dans son traditionnel rapport annuel sur le mal-logement, qui doit être rendu public ce vendredi 31 janvier, la Fondation Abbé Pierre consacre son chapitre principal à la question des personnes seules face au mal-logement. Une population souvent oubliée comparée aux familles, alors qu'elle représente aujourd'hui 35 % des ménages français.

Dans cette 25e édition d'un ouvrage devenu au fil des ans une référence en matière de logement, la Fondation Abbé Pierre explique en préambule que «tout le monde peut vivre seul à un moment dans sa vie».

Personnes âgées, jeunes en début de carrière cherchant un premier logement, célibataires, migrants, couples séparés... Tous les profils sont en effet concernés.

Le phénomène, précise le rapport, n'est pas récent, mais il s'est accentué ces dernières décennies, les jeunes s'engageant plus tardivement dans la vie de couple, les ruptures conjugales étant elles aussi plus fréquentes, et, enfin, parce que la population vieillit, laissant les personnes plus souvent seules et pour une durée plus longue.

Résultat : les «solos», comme on les appelle parfois, sont confrontés à une pénurie de logements plus forte comparé aux autres ménages, surtout dans les zones tendues.

Des ménages seuls souvent plus pauvres et en rupture

Pour appuyer son propos, la Fondation Abbé Pierre souligne qu'entre 1962 et 2013, la part des personnes seules est ainsi passée de 20 à 35 % de l'ensemble des ménages français, ce qui constitue un fait démographique majeur.

Dans le détail, il s'agit d'une population davantage féminine puisque ces ménages forment 20 % de l'ensemble, contre 15 % d'hommes seuls.

Les ménages composés d'un seul adulte sont aussi particulièrement touchés par la pauvreté (20 % des personnes seules de moins de 65 ans sont pauvres, indique le rapport, alors qu'à titre de comparaison, en 2016, le taux de pauvreté en France était de 14 %).

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette part importante de ménages seuls en France, selon les experts de la Fondation.

Premier facteur cité : la mobilité des personnes qui, «bien qu'étant un sujet peu étudié, est loin d'être négligeable». C'est le cas, notamment, des étudiants qui, pour leurs études, doivent déménager et trouver un logement, ou de certains actifs qui, pour travailler, doivent s'installer loin de leur domicile.

Avec des salaires faibles et des contrats courts, les travailleurs saisonniers, parce qu'ils rencontrent davantage de difficultés à accéder à un logement adapté, sont aussi plus souvent frappés par le mal-logement.

De même, les accidents ou événements de vie, tels que les divorces, séparations ou veuvages, parce qu'ils coïncident souvent avec une baisse du niveau de vie, font aussi basculer les personnes vivant seules, et surtout des femmes, en situation de mal-logement.

À titre d’exemple, à la suite d'un divorce, 20 % des femmes basculent ainsi dans la pauvreté, contre 8 % des hommes, souligne le rapport. 

LES PERSONNES SEULES DÉSAVANTAGÉES FACE AU MARCHÉ

Lorsqu'elles vivent seules, les personnes ont souvent des moyens financiers plus limités comparé aux autres ménages, et elles sont, dans le même temps, confrontées à une offre de petits logements abordables très insuffisante au regard des besoins.

A cet égard, la Fondation Abbé Pierre relève ainsi que les logements de petites tailles (T1 et T2) ne constituent que 25 % du parc locatif social, alors que près de la moitié (918.000) des demandes HLM sont faites par des personnes seules.

«Dans les territoires très tendus, c'est-à-dire où l'offre de logements est très en-dessous des demandes, les délais d'obtention d'un logement dans le parc social sont, de fait, particulièrement longs, même pour les personnes reconnues prioritaires au titre du Dalo», précise le rapport. 

Dans ce contexte, les «solos» n'ont donc souvent pas d'autre choix que de se tourner, quand ils le peuvent, vers le parc privé qui, s'il dispose davantage de petits logements, a l'inconvénient de proposer des loyers souvent beaucoup plus élevés au mètre carré.

A l'instar des familles monoparentales, les ménages isolés consacrent donc une part plus importante de leurs revenus à leur logement.

Plus d'une personne vivant seule sur dix (13 %) consacre même plus de 35 % de ses revenus à son logement, cela pour un reste-pour-vivre inférieur à 650 euros par mois.  

Avec des revenus limités, les solos et les familles monoparentales sont par conséquent davantage exposés aux impayés de loyers et au risque d’une expulsion locative, alors même qu'ils sont plus souvent touchés par le mal-logement que la moyenne.

PLUS PRÉCAIRES, LES PERSONNES VIVANT SEULES SONT DAVANTAGE CONCERNÉES PAR L'ISOLEMENT

Mais en consacrant une part plus importante que les autres à leur logement, les personnes vivant seules vont, mécaniquement, s'isoler aussi un peu plus du reste de la population. Elles vont, plus simplement, ne pas avoir les moyens de sortir, d'aller boire un verre, de se payer une activité sportive ou culturelle. Elles vont donc être contraintes de se priver d'activités sociales et être plus souvent livrées à elles-mêmes.

De même, un handicap ou une maladie s'accompagnant d'une perte d'autonomie peut conduire à des situations d'isolement, tout comme cela peut être le cas pour une personne récemment arrivée en France, qui, en ne maîtrisant pas la langue française, aura d'autant plus d'obstacles dans l'accès aux droits, ce qui, là aussi, l'isolera de la population d'accueil.

Pire, explique la Fondation Abbé Pierre, le mal-logement crée lui aussi de l'isolement. Car, lorsqu'elles sont dans un logement en mauvais état ou trop petit, de nombreuses personnes disent éprouver une certaine «honte» à y recevoir leurs proches et, souvent, s'abstiennent de le faire.

Et si le mal-logement renforce l’isolement, l’isolement peut lui aussi être une source de difficultés pour se loger ailleurs ou même se maintenir dans le logement. Le rapport indique en effet qu'en étant en isolés, les personnes qui vivent seules ont moins tendance à s'engager dans des démarches ou même à avoir recours aux prestations ou aux services d’aides.

«Le lien social joue au contraire un rôle fondamental dans le parcours vers de meilleures conditions de logement», résume le rapport.

Les personnes seules en difficulté financière et de logement, et en étant isolées, sont enfin plus à même d'échapper aux radars des services sociaux, au risque de voir leur situation s’aggraver.

LES ISOLÉS DOIVENT ÊTRE MIEUX CIBLÉS 

Au-delà du constat, la Fondation Abbé Pierre fait surtout toute une série de propositions afin d'encourager une meilleure prise en compte des ménages isolés dans les politiques publiques. Elle se base, notamment, sur des initiatives locales, comme dans le Calvados par exemple, où une vaste étude sur les besoins en petits logements a été menée.

Le rapport insiste surtout sur le fait qu'il y a urgence à agir sur l'offre de logements, en produisant davantage de logements plus petits et, dans le même temps, abordables. 

Parallèlement, pour rompre l'isolement des ménages isolés, «c'est tout l'environnement du logement qu'il faut interroger, comme les rapports entre résidents», indique la Fondation Abbé Pierre.

Des changements, en somme, sont aussi à envisager pour repenser la façon d'habiter telle qu'on la connaît aujourd'hui de façon à la rendre plus conviviale, voire solidaire

«Dès la conception d’un ensemble immobilier, on peut ainsi chercher à faciliter la coexistence et à faciliter les rencontres, à ménager des espaces de convivialité, à proposer des services adaptés (chambres d’amis, espaces de réception, buanderie commune…). Une seconde logique consiste à proposer des modes d’occupation différents des logements «ordinaires» (colocations, présence d’un tiers, moments institués de vie collective, etc.)», écrivent notamment les experts.

Sortir de la spirale du mal-logement et de l'isolement qui souvent en découle passe aussi par une démarche pro-active et solidaire du plus grand nombre, en prenant l'initiative d'aller directement vers les personnes isolées, en prenant compte des spécificités de chacune d'entre-elles suivant qu'elles soient jeunes, séniors, femmes, personnes migrantes, etc.

De la même manière, Pour la Fondation Abbé Pierre, il apparaît donc urgent de «déstandardiser» les politiques du logement, de façon à ce que celles-ci s'adaptent aux modes de vie de moins en moins unifiés de la population, et non l'inverse, en prenant compte leurs contraintes et leurs aspirations.

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