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Stéphanie Ledel, addictologue :«Les addicts sont obligés de continuer leur consommation en confinement»

Stéphanie Ladel, addictologue, martèle qu'il faut continuer d'accompagner les addicts et ne pas les oublier. [SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP]

Jeux d'argent, alcool, drogues, tabac, porno... Selon l’addictologue Stéphanie Ledel, environ un cinquième de la population française est addict. En cette période de confinement, impossible pour les personnes concernées de se procurer les produits nécessaires à leur équilibre. La professionnelle du Cabinet social nous éclaire sur ceux qui ne sont pas la priorité du moment.

En cette période de confinement, les personnes addict peuvent-elles gérer leurs pulsions ?

Pour ceux qui ont déjà des tendances à l’anxiété ou à la déprime, ça va être particulièrement difficile. Soit parce qu’ils sont confinés tout seul ou bien confinés et mieux surveillés.

Pour les aider, il y a énormément d’addictologues qui sont disponibles par voies dématérialisées comme le téléphone, visio ou les réseaux sociaux. On peut ainsi apaiser. Pour ceux qui ont des psychologues ou des psychiatres habituellement, en général, on essaie d’être disponibles de la meilleure manière possible car on est tous confinés.

Existe-t-il des moyens pour gérer ces pulsions ?

Il faut déculpabiliser : c’est parfaitement normal qu’on se sente mal. Ils ont besoin de moments à eux. Ça donnerait l’occasion à ceux qui consomment en douce de pouvoir continuer en cachette. C'est terrible mais c’est comme ça, il faut éviter de faire monter les irritabilités. Quelqu’un qui est déjà addict va provoquer le conflit pour pouvoir sortir et s’approvisionner. C’est la solution pour pouvoir s’échapper. Si possible, il faut que les gens se confinent dans le confinement. Il faut trouver un endroit virtuel, à distance, professionnel où ils peuvent partager leur mal être.

On va les récupérer hyper culpabilisés

Pour des gens qui ont trouvé un huis clos autour de la pornographie, pour se soulager de stress d’angoisse, de mal-être, là c’est évident qu’ils plongent en plein dedans avec le confinement. On va les récupérer hyper culpabilisés, renfoncés dans leur silence.

Pour ceux qui prennent des substances, on a des vrais problèmes de sevrage. Nos urgences concernent beaucoup les sevrages forcés, liés au confinement ou à l’isolement. Il y a aussi les prisonniers et les hospitalisés. Ils voient du monde certes mais par contre pour leur approvisionnement, qui se faisait en douce lorsqu’ils avaient les mains libres, là c’est catastrophique.

Il faut également communiquer au personnel des prisons, à ceux qui vont voir les personnes âgées à domicile, au personnel hospitalier, qui sont en contact avec des gens qui étaient moins confinés avant, qu’il va y avoir des syndromes de sevrage. Ils doivent être alertés car ils vont être surpris. Je ne parle même des personnes âgées qui pouvaient aller s’acheter ce dont elles ont besoin régulièrement mais qui sont confinées. C’est explosif dans le milieu psychiatrique en ce moment. Il faut que les gens viennent vers nous.

Quels problèmes peuvent-ils rencontrer ?

Dans la vie courante, ils ont l’habitude de se donner leur dose car le cerveau s’est habitué. Il n’est pas capable, du jour au lendemain, de passer à autre chose. Car il y a des tremblements, des nausées, des diarrhées... Il y a une attente de produit extérieur pour que l’équilibre se fasse et que les choses passent plus ou moins inaperçues. Là, ils sont mis à mal en ce moment. 

Il y a des choses possibles pour donner cet équilibre au cerveau, tout en s’éloignant de produits éventuellement moins accessibles. Beaucoup de produits sont tenus par des mafias, beaucoup ne sont pas légaux, hyper mal coupés, ou bien vendus à des prix catastrophiques. C'est un peu comme le prix du masque chirurgical qui peut grimper jusqu'à 80 euros aujourd’hui. On peut aussi retrouver des produits de moindre qualité qui viennent de nulle part.

Comment on fait pour que les gens continuent de pas se mettre en danger ? Car ils sont obligés de continuer leur consommation. Leur cerveau a besoin de ça pour l’équilibre tant qu’on n’a pas réussi à les faire décrocher. Ça ne se fait pas en un claquement de doigt. Il faut arriver à communiquer sur les endroits où on peut continuer de se procurer des seringues stériles.

Vous avertissez également des risques pour les personnes incarcérées...

Dans les prisons, il ne faut surtout pas faire comme si il n’y avait plus rien. Il faut continuer de donner de seringues stériles alors qu’il est censé ne pas y avoir drogues. Vous savez, les sevrages forcés sont abominables, ils font vivre l’enfer autant physiquement que psychiquement. On peut avoir des crises de paranoïa, des choses assez fortes. Vous avez des tremblements de terre dans le cerveau et dans le corps.

Vous alertez aussi sur les risques à la fin du confinement...

Quand ils auront de nouveau droit à l’isoloir etc... Quand les consommateurs se retrouvent de nouveau avec de la drogue, ils se mettent à reprendre la même dose qu’avant. Les gens se balancent la dernière dose connue et meurent.

Personne ou très peu de gens viennent leur expliquer, car ils ne sont même pas censés être consommateurs en prison. C’est d'une naïveté sans nom. Ce sont des hommes, des femmes qu’on a isolés, ce ne sont pas des sous-hommes. Ils ont droit à la santé et à l'information de ce qui pourrait leur être délétère.

Il peut y avoir des scarifications, des tentatives de suicide

Il y a des produits qui existent en cas d’overdose, qui sont comme des antidotes. Cet antidote il faut l’avoir sous la main. Il en faut suffisamment en prison. Au-delà de la crise sanitaire évidente, liée aux respirateurs, aux nombres de lits de réanimations et au personnel, il y a énormément à dire sur la crise sanitaire alentour. Je parle des consommateurs ou de ceux qui vont créer des sillons de consommations.

On parle des addictions mais ça peut se traduire par des scarifications, des tentatives de suicide. C’est une minorité, mais une grosse, qui va vers quelque chose de délétère. Sauf à trouver des portes de sortie : la déculpabilisation, des débriefings avec des bénévoles ou des pro, des endroits où on peut exposer tout ça.

Vous pourriez notamment vous occuper des addictions au tabac...

On a aussi un rôle à jouer pour que les gens soient dans leur meilleure santé. Je prône le fait que l’on puisse nous financer des consultations anti-tabac. Car je suis convaincue, pour avoir vu une étude il y a pas mal de jours maintenant, qu'il y a 2,5 fois plus de risque d’être en réanimation ou mort du coronavirus si on est fumeur. C’est une vulnérabilité respiratoire. Ça ne sert à rien d’en parler directement aux fumeurs, ils vont être stressés et tirer sur leur cigarette. Mais on peut avertir sur le danger du Covid-19 pour quitter la cigarette. Si on pouvait nous financer ces consultations anti-tabac pour aider les gens, notamment avec les patchs nicotines bien placés. On sait accompagner proprement.

En voulant éviter les conflits, le préfet de l'Aisne avait pris un arrêté contre la vente d'alcool...

On a été de nombreux addictologues à le prévenir qu’il allait engorger les urgences avec une telle mesure. L’intention est bonne mais il ne faut surtout pas retirer l’alcool à ceux qui ont habitué leur corps, et donc leur cerveau, à une certaine quantité. 

On a argumenté et il a retiré son décret le soir même. Les sevrages alcooliques peuvent être mortels s’ils sont faits brutalement. Donc on a alerté tout de suite sur cette urgence sanitaire là. On a aussi soulevé un autre point : que ça allait provoquer des déplacements inter-départementaux pour s’approvisionner. Encore une fois, l’intention était bonne.

On est tous là à croire qu’on va tous se mettre à se cultiver, à étudier la mythologie grecque

Le confinement peut-il créer d'autres addicts ?

Il y a tous ces gens qui n’étaient pas addicts. Qui vont passer de la distraction au soulagement, reproduit autour d’un truc -ça peut-être la cigarette, la vidéo, de la substance ou pas-. Tous ceux qui vont passer d’un truc apaisant ou stimulant, qui va normalement être là pour apporter un petit plus ou un apaisement. Beaucoup vont passer de la distraction à un sillon addictif.

Comment y échapper ?

Aujourd’hui, les gens ont besoin de trouver un moyen de s’apaiser. Le message d’urgence à donner est : «Variez les plaisirs, autant que faire se peut». Mais c’est bien gentil de le dire, qu’est-ce qu’on peut leur proposer de concret ? On est tous là à croire qu’on va tous se mettre à se cultiver, à étudier la mythologie grecque etc, mais ce n’est pas ça la vraie vie.

Quelle aide médicale pouvez-vous apporter ?

Les professionnels qui ont l’habitude de gérer les urgences connaissent ce qu’est un sevrage alcoolique, qui peut toucher des gens qui sont hospitalisés du jour au lendemain et n’osent pas dire qu’ils ont besoin de consommer de l’alcool. Tous les médecins généralistes et autres, qui n’ont pas l’habitude de voir des gens qui passent du jour au lendemain à une situation de sevrage et sont confinés et hospitalisés, sont en galère. C’est vrai pour les anxiolytiques, les opiacés (héroïne etc), également pour la cigarette et le cannabis. Nous, on est joignable et on peut continuer d’aider. Il y a des traitements. Pour les fumeurs, il y a les patchs nicotines. On peut trouver des solutions, y compris à l’hôpital. On arrive à lire qu’il s’agit d’un sevrage.

On a la chance d’avoir Twitter pour alerter. Aujourd’hui, mon combat est de demander «pourquoi vous n’utilisez pas la liste Adeli des assistants sociaux qui existe, comme il y a une liste Adeli des infirmiers ou des médecins dans toutes les ARS et les préfectures ?» Pourquoi demander des renforts des étudiants et ne pas demander ces renforts. On est tous aussi dans la frustration car il y plus de besoins et moins de sollicitations. Dans les structures hospitalières ils sont submergés et dans les structures privées, comme moi, on est sous exploités.

Qui peut aider ?

Tous les professionnels de l’apaisement, de l’écoute, de la capacité à comprendre que quelqu’un file un mauvais coton, prend un mauvais chemin, où a besoin de parler de ses angoisses. Tous ces professionnels, autant que possible, se mettent à disposition. Faut juste se poser la question de comment ils sont atteignables. Il y aussi la question des finances. Car mes consultations continuent d’être payantes. Mais on existe. Des gens peuvent découvrir des choses qu’ils ne connaissaient pas. Il faut oser faire le pas. 

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