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Logement : le Covid a créé une «bombe à retardement», s'alarme la Fondation Abbé Pierre

Mises à l'abri des SDF, difficultés à payer le loyer, construction de logements insuffisante... Les problèmes se sont démultipliés avec le Covid-19. [Photo d'illustration / PHILIPPE LOPEZ / AFP].

Dans son traditionnel rapport annuel sur le mal-logement, qui doit être rendu public ce mardi 2 février, la Fondation Abbé Pierre tire la sonnette d'alarme sur les difficultés croissantes que rencontrent les Français pour se loger et la «bombe à retardement» que constitue l'épidémie de Covid-19 sur ce sujet. Des retombées encore difficiles à évaluer aujourd'hui, mais qui, prévient-elle, se feront sentir pour les années à venir.

«La crise est en train d'arriver», a ainsi d'ores-et-déjà prévenu Manuel Domergue, le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, lors d'une présentation à la presse du 26e rapport de la Fondation sur l'état du mal-logement en France.

A l'appui de cette inquiétude, plusieurs enquêtes lancées sur le terrain qui toutes font remonter de multiples signaux faibles possiblement annonciateurs d'un véritable tremblement de terre. De même, la Fondation Abbé Pierre a établi un sondage, qui, lui aussi, dégage sur la question du logement une série de tendances préoccupantes.

un Français sur sept (14 %) en proie à des difficultés de logement depuis mars 2020

Réalisée en partenariat avec l'institut IPSOS, du 14 au 15 janvier dernier sur un échantillon représentatif de la population française, cette enquête révèle d'abord que la situation financière d’un tiers des Français (32 %) s’est dégradée depuis le début de la crise sanitaire.

Sans surprise, depuis mars 2020, cette détérioration économique a affecté, et continue d'affecter d'ailleurs, davantage les personnes les plus fragiles (43 % des 18-24 ans et 55 % des allocataires de l'APL, l'aide personnalisée au logement notamment).

Ce faisant, l'année dernière, ce sont près d'un Français sur sept (14 % très exactement) qui ont rencontré des difficultés liées au logement, comme par exemple payer son loyer, ou qui ont fait face à des dégradations diverses qui n'ont pas pu être corrigées par manque d'argent.

Et beaucoup envisagent l'année 2021 de façon tout aussi sombre, puisqu'environ un Français sur trois (29 %) exprime des craintes liées au logement.

Un jeune sur cinq (20 %) a du mal à payer son loyer

Dans cette crise, les jeunes sont aujourd'hui plus que jamais en première ligne. Le sondage de la Fondation Abbé Pierre évalue ainsi à 20 % la part des moins de 25 ans qui disent éprouver des difficultés à payer leur loyer.

En clair, désormais en France, un jeune sur cinq n'a pas assez d'argent pour payer son loyer, ce qui le place directement en situation de grande précarité.

Par ailleurs, 12 % voient leurs conditions de logement se dégrader, contre 7 % en moyenne dans le reste de la population.

Enfin, plus d’un tiers d’entre eux (35 %) craignent de ne pouvoir faire face à leurs dépenses de logement en 2021.

Mais le logement n'est pas le seul terrain sur lequel la crise du Covid-19 a tout balayé. L'étude commanditée par la Fondation Abbé Pierre met ainsi également en exergue le fait que 20 % des jeunes ont sollicité l’aide alimentaire. Parmi eux, les trois quarts sollicitaient cette aide pour la première fois.

Les files interminables d'étudiants faisant la queue dans la rue pour récupérer un colis alimentaire à Paris et dans plusieurs villes de France, et dont les images ont été abondamment relayées dans la presse et sur les réseaux sociaux ces derniers jours, sont à cet égard très éloquentes.

Et si le gouvernement a mis en place plusieurs actions, avec entre autres des repas à un euro dans les restaurants universitaires, rien ne dit que cela sera suffisant pour endiguer cette vague de précarité, qui, semaine après semaine, s'avère être chaque fois un peu plus grosse.

La double peine pour les mal-logés et les SDF

En dehors de la population générale, et des jeunes davantage fragilisés, l'onde de choc du Covid-19, avec les confinements qui l'ont accompagnée, a aussi et bien évidemment frappé de plein fouet les mal-logés et les SDF. Des publics déjà extrêmement précaires mais qui ont souffert d'une véritable double peine, explique la Fondation Abbé Pierre.

«Rien n'était prévu pour eux, il y eu un manque d'anticipation générale», constate, amer, Manuel Domergue. Une situation de panique généralisée qui, ajoute-t-il, a fait que «pendant les premières semaines du confinement, on a vu des phénomènes extrêmement choquants avec des gens qui avaient faim et qui ne trouvaient rien pour se nourrir, les maraudes et des distributions alimentaires étant totalement désorganisées.»

La mobilisation a quoi qu'il en soit été ensuite forte, salue le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, mais il a fallu du temps pour qu'elle puisse s'installer. En l'état, le spécialiste évalue à 30.000 le nombre de places d'urgence qui, à cette occasion, ont été créées, mais pas toujours dans de bonnes conditions, loin s'en faut.

Autre enseignement de cette mobilisation, le 115, le numéro de téléphone d'urgence pour les sans-abris, a été sollicité par des profils qui d'habitude échappent aux radars.

«On a littéralement vu des gens sortir de greniers, de caves, de squats, des gens même parfois qu'on avait pas vu depuis dix ans et qui, cette fois, ont exprimé une demande d'assistance de par cette mobilisation générale», explique encore Manuel Domergue. En cela, le Covid a été un véritable révélateur d'une crise du logement de très grande ampleur.

Sur le plan sanitaire, ces publics, mis à l'abri dans des hôtels ou des gymnases ou vivant dans des logements inadaptés, sont également ceux qui ont le plus souffert du Covid-19, avec des taux de prévalence au sommet, parfois allant jusqu'à 50 % dans des structures surpeuplées.

Enfin, le confinement du printemps, et plus encore celui de l'automne, a accentué dans de nombreux foyers la précarité énergétique. En clair, en restant à la maison, les factures de chauffage ont bien souvent été plus chères à payer pour ceux qui ont peu de moyens.

Ce faisant, alors que, selon le médiateur national de l’énergie, les procédures pour impayés de factures d’électricité ou de gaz ont augmenté de 17 % en 2019, la hausse risque d'être encore très grande en 2020 à cause du coronavirus.

La production de logements grippée

Au-delà de ces situations, très douloureuses, c'est enfin toute la production de logement qui, avec le coronavirus, s'est trouvée totalement bouleversée.

Selon les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, il y a eu, en 2020, 100.000 attributions HLM en moins. De même, 100.000 permis de construire en moins ont été délivrés en 2020 et même chose pour 2021.

Surtout, l'organisme se montre très critique vis-à-vis de l'action publique face au mal-logement jugée «très insuffisante dans cette année très particulière».

Parmi les différents griefs soulevés, la Fondation, comme la majorité des acteurs du secteur du logement d'ailleurs, déplore que le logement ait été «le grand oublié de la relance, en particulier le secteur de la construction neuve», lorsqu'en face les besoins sont gigantesques. La Fondation fustige aussi les différentes coupes budgétaires sur les APL et Action Logement, et plaide pour une refonte de la politique de prévention des expulsions. Un sujet qui devrait rapidement refaire surface avec la fin de la trêve hivernale, quand bien même celle-ci a finalement été reportée au 1er juin.

Dans ce contexte, partant du principe qu'il ne faut «pas attendre plus de trois mois d'impayés avant d'agir, mais qu'il faut anticiper», la Fondation Abbé Pierre défend notamment la création d'un fonds national d’aide pour les locataires financé à hauteur de 200 millions euros, et l'ouverture du RSA aux moins de 25 ans.

Autant d'actions qu'elle ne manquera pas de défendre, ce mardi, auprès de la ministre du Logement Emmanuelle Wargon, lors de la présentation officielle de son rapport.

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