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Rixes entre bandes de jeunes : «la véritable nouveauté, c'est l'usage de la violence extrême», pour le sociologue Michel Fize

Plusieurs affrontements entre jeunes ont eu lieu ces dernières semaines en France, et deux adolescents de 14 ans sont décédés. Plusieurs affrontements entre jeunes ont eu lieu ces dernières semaines en France, et deux adolescents de 14 ans sont décédés. [THOMAS COEX / AFP]

Les affrontements et violences entre bandes de jeunes étaient au cœur de l’actualité de ces dernières semaines, de l’agression du jeune Yuriy dans le 15ème arrondissement de Paris à la mort de jeunes adolescents au cours d’une rixe dans l’Essonne. Phénomène ponctuel ou générationnel : les violences entre bandes sont-elles en réelle expansion ? Le sociologue spécialiste de l’adolescence et ancien chercheur au CNRS Michel Fize livre à CNEWS son analyse.

Les règlements de compte entre jeunes ont récemment fait la Une, mais qu’est-ce qui caractérise exactement une «bande »? Qui sont ces adolescents qui font usage de la violence ? 

Traditionnellement, être en bande, c'est une normalité de l'adolescence, dans le sens de se regrouper. À l'origine, une bande c'est ça : un regroupement de jeunes, pour discuter, faire des activités, se rencontrer. Il n'y a pas nécessairement une visée de délinquance. Il y a une différence à faire entre les gangs, où on a une hiérarchie et une véritable structure criminelle, et les bandes, qui ne sont pas structurées, contrairement à ce que l’on croit. Il n'y a pas de chef. Dans une bande, il y a un petit noyau de leaders d'opinion, qui donne l’idée de commettre des faits de violences et à partir de là, s'agrègent tout un ensemble de sympathisants.

On retrouve quand même, majoritairement, des jeunes de milieux populaires, modestes, et plus encore en difficulté. Je pense qu'un certain nombre de membres de bandes sont en difficulté scolaire, en échec, en absentéisme, voire sont déscolarisés. Il peut aussi y avoir une mauvaise connexion en général entre les parents et les enfants, et une mauvaise connaissance des parents sur ce que font les enfants quand ils ne sont plus à la maison. Nous sommes dans une société individualiste, donc la surveillance est compliquée. 

Quels peuvent être les motifs qui poussent des jeunes à s’affronter ? 

Il y a des mots clés : réputation, honneur bafoué, territoire violé, et d’autres banalités d'usage, comme un mauvais regard. Ce sont des faits futiles. Ce ne sont pas des motifs graves qui motivent ce genre de comportement. Pour faire un bon commentaire, il faut aussi bien avoir à l'esprit ce qui se joue à l'adolescence : le fait de prendre son autonomie, d’affirmer son identité. Évidemment, dans une société qui n'est pas très valorisante pour les jeunes, le premier élément d'identité, c'est le lieu où l'on vit. C'est le mot essentiel : tout part d'une querelle de territoire. Ces affrontements découlent d’inimitiés qui ne reposent sur rien, sinon qu'on n'est pas du même lieu. Il y a un côté artificiel à ces querelles. 

Y a-t-il véritablement une explosion de la violence, des affrontements entre jeunes, par rapport aux décennies précédentes ? 

Il y a toujours eu des règlements de compte entre jeunes, depuis des années. Le ministère de l’intérieur nous dit qu’il y a une augmentation, avec 357 affrontements en 2020 contre 288 en 2019, ainsi que 74 bandes violentes identifiées. Les chiffres officiels ne montrent en réalité que le sommet de l'iceberg. Il y a des bagarres de jeunes tous les jours, et à peu près partout.

La véritable nouveauté de ce phénomène, c’est l’usage de la violence extrême. Elle est sans limite. Autrefois, on utilisait l'expression «sans foi ni loi», et aujourd'hui, toute la société est sans foi ni loi. C'est une société d'individus rois. Il n'y a plus de valeur. On est dans une société du rapport de force. Aujourd'hui, un adulte peut se faire tabasser pour une simple histoire de place de parking. Il n'y a plus de règles collectives, plus de règles de droit. Tout cela a perdu sa légitimité. Il n'y a plus dans les bandes, ce qu'on appelait à l'époque les «codes d'honneur». Je me demande si l'on n'est pas passé à un stade supérieur, où il y a un délire conscient de tuer ou de blesser gravement. On n'est plus au niveau de la simple correction.

Les jeunes étant très connectés, les réseaux sociaux jouent-ils aussi un rôle dans cette propagation de la violence ?

Les réseaux sociaux ne sont pas forcément des déclencheurs. C’est ce qu'on a entendu ces derniers temps, et qui ne m'a pas beaucoup convaincu. Comme si on avait besoin des réseaux sociaux pour rassembler une bande. Je pense que le plus grand danger par rapport aux réseaux sociaux, c'est le fait qu'ils entretiennent ces rancœurs, alimentent les rumeurs, les fausses informations, donc ça continue d'attiser les rivalités. 

Suite à ces événements, le gouvernement a annoncé le renforcement du plan de lutte contre les bandes, avec une augmentation de l’action de la police de sécurité du quotidien, mais aussi davantage de prévention, notamment en milieu scolaire. Quelles sont, selon vous, les réponses à apporter à ces phénomènes de délinquance ? 

Je pense qu'il y a quelques bonnes réponses par rapport aux facteurs prédisposant. Il faut déjà apporter de l’aide au niveau familial : les familles ont du mal à remplir leurs missions éducatives. Elles ne le font pas, ou mal et sont impuissantes (et non pas démissionnaires). Ensuite au niveau de l’école, par la réussite scolaire, mais aussi par une meilleure connaissance des éléments qui permettent la vie en société. Il faut une véritable éducation morale, sociale. C'est normal d'être en conflit, en tension, mais on n'est pas nécessairement condamné à la violence. Il y a tout un discours de la paix à réintroduire pour ça.

Il y a aussi un rôle de la police. Souvent, on dit que l’on va augmenter les effectifs et mettre davantage de policiers dans les quartiers. Mais pour quoi faire ? Quand on connait les rapports déjà très difficiles entre les jeunes des bandes et la police, on se demande si cela sera bien efficace. Moi je pense qu’il faut sans doute aller du côté de ce qui a marché : la police de proximité, qui s'immergerait dans le lieu, qui serait au milieu des gens, des jeunes, et qui ne serait plus considérée comme une force étrangère,  et puis peut-être la réhabilitation de l'éducation spécialisée.

 

Sociologue spécialiste de la jeunesse, de l’adolescence et de la famille, ancien chercheur au CNRS, Michel Fize publie le 23 mars prochain «De l’Abîme à l’Espoir : Les années folles du mondialisme (1945-2020)» aux éditions Mimesis, dans lequel il fait un état des lieux économique, social et politique de la société contemporaine. 

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