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«Plus de place pour les sentiments, juste la survie de mes hommes» : dans les pas d’un chef commando au Sahel

Membre des commandos marine depuis 2010 et chef de groupe cinq ans plus tard, Louis Saillans a multiplié les opérations militaires au Sahel et au Moyen-Orient. Capture de jihadistes, élimination de combattants ou libération d’otages, son quotidien était d’enchaîner les missions à hauts risques. Il les raconte telles qui les a vécues dans un livre, «Chef de guerre» (éditions Mareuil).

«On est des espèces de chiens de chasse, on est toujours content de renifler une piste», affirme dans un sourire l’ancien chef commando. Les attentes dans la fournaise des camps sont parfois longues, passées à s’entretenir physiquement, à s’entraîner ou à s’occuper comme on peut. Alors, quand le groupe est appelé pour une mission, il est toujours prêt.»

Si certaines se passent sans accroc, d’autres se révèlent bien plus compliquées. Et dangereuses. Comme l’une, décrite dans le livre, lorsqu’il faut aller au contact d’un groupe d’une dizaine d’individus dans un oued. Le relief rocheux censé s’y trouver pour protéger leur progression n’existe pas, alors le déploiement se fait à découvert. Pris à partie par des tireurs cachés dans la végétation, il faut réagir vite. «Il y a un logiciel tactique, que j’ai forgé durant mes entraînements, qui prend toute ma tête et se met à réfléchir à ma place», nous décrit Louis Saillans.

«Est-ce qu’il y a besoin de le tuer ou pas ?»

«Il n’y a plus de place pour les sentiments, pour la crainte, pour l’envie. Plus rien. Juste la survie de mes hommes, de moi-même et l’accomplissement de la mission». Ensuite, aidé par les hélicoptères Tigre et Gazelle, il faut faire ses choix, étape par étape, pour avancer et débusquer les jihadistes. Jusqu’à les éliminer s’il le faut. «On ne se pose pas la question : "est-ce qu’il faut que je le tue ou pas ?", mais "est-ce qu’il y a besoin de le tuer ou pas ?"». Allongés pour éviter les balles des jihadistes qui claquent autour d’eux, la réponse s’impose souvent d’elle-même aux commandos. Et la réplique est immédiate.  

Parfois, la situation est plus complexe. Notamment dans les villages, où les terroristes peuvent se cacher parmi la population. Et des actions anodines, comme une personne courant dans leur direction, mettent l’excellence de ces soldats à rude épreuve. «Soit elle représente une menace pour mes hommes et moi-même, soit elle n’en présente pas», reprend le chef de groupe. C’est là que se trouve l’aspect le plus compliqué du métier, estime-t-il. «Ce qu’il y a de plus difficile ce n’est pas d’appuyer sur la détente, c’est de ne pas appuyer sur la détente. On a la tentation, souvent, de se débarrasser d’un problème en tirant. Il faut beaucoup de sang-froid pour analyser la situation».

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[©Louis Saillans]

Des adversaires prêts à tout

Les confrontations physiques laissent parfois place à des réflexions plus philosophiques sur les hommes qu’il faut affronter. «Sur le terrain, ce sont des adversaires que je combats presqu’avec du plaisir. Je suis heureux de l’avoir fait. En revanche, j’ai ce respect pour celui qui va jusqu’à prendre les armes pour ses idées», reconnaît Louis Saillans. Et de se souvenir de la chasse d’un jihadiste qui s’était réfugié derrière des rochers et défendait sa position à la Kalachnikov. «Il a combattu jusqu’au bout», décrit-il. «En allant chercher son corps, on a réalisé qu’il s’était fait sectionner les deux pieds par un tir d’hélico. Je ne sais pas combien de temps, ni sur quelle distance, mais il avait continué à combattre sans ses pieds. Je m’étais dit : "est-ce que moi j’aurais eu le cran de faire ça". Parfois, il faut admettre qu’il y a un certain courage, même si je méprise totalement leur idéologie».

Un respect parfois source de tensions au sein de son équipe, notamment lorsque se pose la question de prendre le risque et le temps de s’occuper d’un blessé adverse. Dans le camp d’en face, l’exécution est garantie et une sépulture digne plus qu’hypothétique. «Nous, on s’astreignait à enterrer les corps de nos ennemis. Eux, ils ont profané des tombes. Ca veut dire ce que ça veut dire…»

des mort et des questions

La perte d’un de ses hommes, «c’est la pire chose qui puisse arriver», affirme sans hésitation le militaire. «C’est même pire que d’y rester soi-même». L’ouvrage s’ouvre d’ailleurs dans la cour des Invalides, le 19 mai 2019, lors de l’hommage national rendu aux soldats Alain Bertoncello et Cédric de Pierrepont. Ils étaient eux aussi membres d’un commando marine et connaissaient grand nombre des hommes dirigés par Louis Saillans. Le premier avait même servi un temps sous ses ordres. Les deux soldats avaient été tués quelques jours plus tôt, en libérant quatre otages au Burkina Faso.

Ces militaires qui meurent au Sahel relancent régulièrement, malgré eux, le débat sur la présence de ces soldats à près de 5.000 kilomètres de Paris. Politiciens et opinion publique se questionnent, en fonction des événements positifs (des terroristes éliminés) ou malheureux qui s’y produisent. Sur le terrain, les pieds dans la poussière ocre, le commando marine ne prête aucune importance aux discours politiques. Louis Saillans comprend en revanche la difficulté pour les Français de saisir ce qu’il s’y passe. «Les combats là-bas, c’est la phase immergée de l’iceberg de la lutte contre le terrorisme. La moitié Nord de l’Afrique est une plate-forme d’échanges, où l’on va trouver du trafic d’armes, de drogues ou d’êtres humains. Une présence militaire forte permet de les juguler. Si l’on se retire, ils vont exploser et serviront de revenus pour les organisations terroristes».

Sa mise en garde va même plus loin, estimant qu’en laissant faire, un «califat islamique (comme Daesh, ndlr) pourrait se remonter de toute pièce et avec facilité».

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