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L'édito de Paul Sugy : «En politique, la réalité devient hélas une théorie comme une autre»

Dans son édito de ce vendredi 29 octobre, Paul Sugy, journaliste au Figaro, revient sur le déplacement jeudi de Marine Le Pen à Alençon, théâtre de violences urbaines un peu plus tôt dans la semaine.

Marine Le Pen est en campagne depuis le 16 janvier 2011, jour où elle a accédé à la présidence de ce qu’on appelait encore le Front national. Sa rhétorique est en permanence celle d’une adversaire déclarée du pouvoir en place, du système, même, encore que le mot a disparu depuis peu de sa bouche (et ce n’est pas plus mal car cela l’oblige à préciser davantage sa réflexion).

Hier encore elle n’a pas fait exception à la règle : elle s’en est prise au gouvernement en mettant en cause le «laxisme politique» de l’exécutif, à tel point d’ailleurs que Gérald Darmanin a cru utile de lui répondre, rappelant que contrairement à ce qu’elle prétendait, les forces de police sont intervenues avec fermeté contre les dealers à Alençon. Manque de chance pour lui, plus tôt dans la journée le préfet lui-même avait minimisé la portée de l’intervention des forces de l’ordre, expliquant qu’il n’était nullement question de démanteler des points de deal mais seulement de coffrer quelques malfrats.

En revanche ce qui est nouveau hier et ce qui laisse penser que Marine Le Pen accélère en effet sa campagne, qui pourrait bien du reste être sa dernière, c’est qu’elle a quitté le confort des événements militants pour se montrer aux prises avec la rue, dans un exercice musclé qui n’est pas sans rappeler sa visite aux salariés de Whirlpool pendant l’entre-deux tours en 2017. Le message qu’envoie la patronne du Rassemblement national est clair : elle ne veut pas être à la remorque sur des sujets qu’elle estime avoir été la première à défendre de la sorte, en l’occurrence, celui de l’insécurité qu’elle relie du reste l’immigration. Elle a toutefois eu le bon goût, cette fois-ci, de réserver les coups les plus féroces sur son adversaire principal, et pas sur d’éventuels rivaux tentés de lui voler la vedette sur ces sujets fétiches.

La candidate répond à un habitant du quartier qui l’apostrophe

Au fond cette scène est emblématique de ce qu’est en train de devenir cette campagne présidentielle. On voit en effet Marine Le Pen alpaguée par un habitant qui met en cause la responsabilité des policiers dans les violences, sur le thème du «c’est pas nous, c’est eux qui ont commencé». A quoi la candidate du RN répond sur un ton sec et autoritaire ses quatre vérités.

Bien sûr il est difficile de ne pas faire l’analogie avec d’autres séquences similaires, Eric Zemmour à Drancy, Emmanuel Macron qui remettait à sa place un jeune homme dans une rue d’Alger, ou même l’emblématique «casse toi, pov’ con».

La séquence dit deux choses : d’une part l’engouement des politiques pour une spontanéité virile, loin des scénographies minutieusement soignées des meetings de campagne où aucun détail n’est laissé au hasard et où les discours sont relus vingt fois. L’exercice, au passage, prouve la complicité de nos candidats avec les chaînes d’info en continu parfois si décriées.

D’autre part et surtout, elle révèle une fracture béante entre des récits concurrents du réel : les Français ne partagent pas les mêmes idées politiques, ça n’est pas un scoop, mais pas non plus la même perception de la réalité. A trop entretenir certains mythes, comme celui de violences policières systémiques ou je ne sais quelle autre malveillance programmée de l’État vis-à-vis de segments précis de la population, des journalistes et des hommes politiques ont, au prétexte de faire valoir la nuance, «truqué» le réel.

Une part de la campagne consiste donc non plus à s’affronter sur les solutions mais sur le diagnostic. Rarement autant qu’aujourd’hui la situation de la France n’a fait l’objet d’aussi ardentes controverses. Trotski disait jadis que «la réalité ne pardonne pas une seule erreur à la théorie» : désormais c’est la construction de la réalité qui fait l’objet de théorie. Et c’est aussi cela qui rend la campagne terrifiante et passionnante, parce que le débat d’idées en est rendu abondant – et nécessaire.

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