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Inceste : 92% des victimes ne sont pas protégées lorsqu'elles dénoncent les faits, selon la CIIVISE

Ce jeudi 21 septembre, la CIIVISE a publié un dossier d'analyse issu des 27.000 témoignages recueillis ces trois dernières années. La Commission indépendante déplore le manque de soutien apporté aux personnes victimes d'inceste et de violences sexuelles dans l'enfance.

«Je te crois, je te protège» : les personnes victimes de violences sexuelles dans leur enfance sont trop nombreuses à avoir été privées de ces mots précieux. Dans un rapport publié ce jeudi 21 septembre, à l'issue de deux années d'appel à témoignages, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) révèle un chiffre terrible : 92% des témoins n'ont pas bénéficié d'un «soutien social positif».

Cette notion renvoie, selon la Commission, à un ensemble de «comportements adaptés et rassurants des proches des victimes de violences sexuelles, comme le fait d'être à l'écoute, de poser des questions, de protéger». Près d'un enfant sur deux (45%) n'est pas mis en sécurité et ne bénéficie d'aucun soin lorsqu'il dénonce les faits. «Autrement dit, personne ne fait cesser les violences», déplore la CIIVISE.

Pourtant, d'après les données du rapport, seuls 3 confidents sur 10 ne croient pas l'enfant. Cela signifie donc que, le plus souvent, la victime est crue sans que cela ne mène pour autant à sa protection. Dans 27% des cas, le confident demande à l'enfant de ne pas en parler et parfois, consciemment ou non, rejette la faute sur lui (22%). En outre, 36% des adultes informés des violences prennent des décisions pour protéger la victime mais les trois quarts (75%) d'entre eux ne permettent pas à l'enfant de bénéficier de soins.

L'un des 27.000 témoins se souvient ainsi avoir entendu : «Est-ce-que tu es bien sûr de ce que tu dis ? C’est important de ne pas mentir. Tu sais que si je prends la plainte, ton papa risque d’aller en prison». Une inversion de la culpabilité qui place la victime dans un «conflit de protection : révéler les violences pour être protégé ou éviter les conséquences pour ses proches».

Dans ce contexte, parler c'est prendre un risque. Les témoignages confiés à la CIIVISE le montrent : à peine plus d'une victime sur 10 a révélé les violences au moment des faits (13%). La plupart (58,5%) attendent l'âge adulte pour parler. C'est à 44 ans en moyenne que les femmes et les hommes ayant été victimes dans leur enfance s'adressent à la Commission.

La question est cruciale car plusieurs études ont montré que la qualité du soutien social apporté au moment de la révélation des violences est déterminante pour l'équilibre et la santé future de la victime. «L’enfant qui révèle des violences et qui perçoit dans le regard ou l’attitude de l’adulte qui l’écoute qu’il n’est pas cru, risque un effondrement psychique», il perd confiance dans «le monde des adultes», écrit la CIIVISE.

Troubles alimentaires et addictions

Parmi les victimes qui ont été protégées par leur confident, plus de 6 sur 10 ne rapportent pas d'impact des violences sexuelles subies sur leur santé physique (62%). Cette part tombe à 4 sur 10 chez les enfants qui n'ont pas été crus ou soutenus de manière positive.

De plus, 56% des victimes qui n'ont pas été accompagnées ont développé des troubles alimentaires, 39% ont connu des addictions et 13% ont adopté des conduites prostitutionnelles. Parmi ceux dont la parole a été entendue, ces chiffres chutent respectivement à 41, 24 et 7%.

Ces violences sexuelles subies dans l'enfance et niées par la société peuvent affecter tous les aspects de la vie, jusqu'à l'âge adulte. Ainsi, le fait d'en avoir été victime augmente par deux le risque pour une femme de subir des violences conjugales au cours de sa vie.

En effet, d'après les chiffres publiés par le ministère de l'Intérieur en 2021, 15,9% des femmes françaises sont victimes de violences conjugales, contre 31% de celles qui ont témoigné auprès de la CIIVISE et même 52% de celles qui ont reçu un «soutien social négatif» après avoir révélé les abus subis dans l'enfance.

Sachant que 160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, pour un coût annuel de 9,7 milliards d'euros, la commission met en lumière «la dimension politique» du phénomène. Il ne relève pas d'une «affaire privée» mais d'un «problème d'ordre public et de santé publique».

manque de formation des professionnels

Elle pointe notamment la nécessité de former et d'apporter de véritables outils aux professionnels pour leur permettre de protéger efficacement les victimes. A l'heure actuelle, les premiers confidents d'un enfant abusé sont presque exclusivement les membres de sa famille, la mère dans plus de 6 cas sur 10 (66%). Or, les proches ne sont non seulement pas préparés à «encaisser le choc» de telles révélations mais sont en plus eux-aussi touchés par le «déni» global qui entoure les violences sexuelles faites aux enfants.

Dans son avis du 27 octobre 2021, la CIIVISE dénonçait notamment la «position intenable» des mères qui, en tant que premières confidentes, se trouvent souvent confrontée à un «piège social» : «ne pas alerter les institutions de protection et être accusées de négligence ou de complicité» ou bien «les alerter en déposant plainte [...] et être accusées de mensonges et de manipulation».

Résultat : parmi les confidents qui prennent des mesures pour protéger l'enfant abusé, plus de 6 sur 10 ne déposent pas plainte pour autant. D'ailleurs, seules 13% des victimes ont obtenu une condamnation de l'agresseur dans les cas où la justice a été saisie. Plus globalement, les témoignages montrent un non-recours aux institutions publiques et, même lorsqu'un professionnel est sollicité, il n'est pas protecteur dans la majorité des cas (58%).

En novembre 2022, la CIIVISE a publié un livret de formation intitulé «Mélissa et les autres», à destination des professionnels de l'enfance. Mais cela ne suffit pas pour réellement pallier le manque de formation en la matière.

Aussi, la Commission appelle à l'élaboration d'«un plan de formation interministériel et interprofessionnel ambitieux pour soutenir les professionnels dans le repérage des enfants victimes et garantir une doctrine claire et nationale pour renforcer le niveau de protection de tous les enfants où qu’ils vivent.»

Face à l'envergure du phénomène et à la souffrance incommensurable des victimes, la CIIVISE s'inquiète à l'approche du 20 novembre, date officielle de la fin de la Commission. Elle souligne la nécessité de poursuivre son travail au-delà de cette échéance et écrit : au 21 septembre 2023, «il n’y a aucune certitude sur la poursuite de cette mission. Qui peut sérieusement penser que trois années suffiraient pour lutter contre un déni qui nous habite tous depuis toujours ?».

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