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Mal-logement : avec 330.000 personnes sans domicile, «la bombe sociale» a explosé, selon la Fondation abbé Pierre

L'hébergement d'urgence» est saturé à tel point que «la plupart des concernés n'appellent même plus le 115» selon Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation abbé Pierre. [Philippe LOPEZ / AFP]

A la veille du 70e anniversaire de l'appel de l'abbé Pierre lors de l'hiver 1954, la Fondation abbé Pierre publie son rapport 2024 sur l'état du mal-logement en France. Il décrit une crise inédite et des services d'urgence saturés.

Pourtant prédite depuis deux ans, l'explosion de la «bombe sociale» du logement n'a pu être évitée. Dans son rapport 2024 sur l'état du mal-logement en France, la Fondation abbé Pierre le constate et se désole : 70 ans après l'appel historique de l'abbé Pierre en faveur des sans-logis le 1er février 1954, 600 à 700 personnes sans domicile meurent encore chaque année de la rue.

En raison des températures négatives, au moins quatre personnes sont mortes de froid depuis le début de l'année 2024. C'est cette même situation qui avait poussé l'abbé Pierre a faire appel à la générosité des Français sur les ondes de Radio Luxembourg à l'hiver 1954. «Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée», s'était-il indigné.

Beaucoup de choses ont changé en matière de logement depuis 1954. Les Français d'aujourd'hui sont globalement mieux logés, selon Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation abbé Pierre. «Les logements sont plus grands, mieux chauffés et ils diposent d'un confort sanitaire qui n'existait pas avant, avec leurs propres toilettes notamment», explique-t-il à CNEWS.

A l'époque il y avait «beaucoup moins de solutions d'hébergement prévues» et il existait des «bidonvilles énormes» qui sont à l'heure actuelle de moindre ampleur. Reste qu'aujourd'hui, alors que la société est «dix fois plus riche qu'à l'époque», 300.000 personnes sont accueillies chaque nuit en hébergement d'urgence et «on meurt de la rue en toute saison» : de froid mais aussi de chaud ou à cause de l'insécurité. D'après un chiffre provisoire, on dénombre 52 décès pour le seul mois de janvier 2024.

Enregistrer des centaines de morts dans la rue chaque année, «quelque part c'est encore plus scandaleux» en 2024 qu'en 1954, estime Manuel Domergue. «Aujourd'hui on a les moyens de proposer un hébergement à tout le monde».

Pourtant les chiffres du rapport 2024 sur l'état du mal-logement sont là : 4.156.000 personnes sont mal logées en France, dont 1.098.000 totalement privées de logement personnel. Parmi ces dernières, 643.000 sont en hébergement «contraint» chez des tiers, 330.000 sont sans domicile (contre 143.000 en 2012), 25.000 résident à l'hôtel et 100.000 vivent dans des habitations de fortune.

La part restante, soit plus de trois millions d'individus, concerne des personnes «vivant dans des conditions de logement très difficiles», soumises à une «privation de confort» ou à un surpeuplement «accentué» par exemple.

Cette crise du logement, «inédite dans les dernières décennies» est à la fois celle de la demande et de la production. La construction de logements, et notamment de logements sociaux, a chuté «de manière spectaculaire» ces dernières années, créant «un déficit» d'après Manuel Domergue. «Tous les ans des dizaines de milliers d'habitation ne sortent pas de terre, alors même que 2,6 millions de ménages sont en attente d'un logement social».

Face à cette concurrence très forte, associée à la pénurie de logement, «les perdants sont ceux qui ont le moins de revenus, qui n'ont pas de proches ou sont en situation irrégulière. En bout de chaîne, on les retrouve à la rue», déplore le directeur des études de la Fondation abbé Pierre.

Dans ce contexte, «la crise du logement reporte les gens vers l'hébergement d'urgence» qui est saturé à un «niveau jamais connu auparavant». A tel point que «la plupart des concernés n'appellent même plus le 115 (le numéro d'urgence sociale, ndlr) parce qu'il savent qu'ils n'ont aucune chance» d'obtenir une place.

D'après les chiffres du rapport de la Fondation abbé Pierre, 8.351 personnes se voient opposer un refus au 115 chaque soir, dont plus de 2.822 mineurs le 2 octobre 2023. «Il y a des nourrissons à la rue qui dorment sous des tentes, ce sont des choses qu'on ne voyait pas avant», s'alarme Manuel Domergue.

Le gouvernement jugé en partie responsable

Sachant qu'en parallèle, 12.138.000 personnes sont déjà «fragilisées par rapport au logement» et que les expulsions locatives, au nombre de 17.500, ont atteint un niveau record en 2022, la situation pourrait encore s'aggraver. «On voit des ménages basculer notamment à cause des prix de l'énergie, précise le directeur des études. Si on continue, on ne sait pas où iront toutes ces personnes».

La Fondation abbé Pierre estime qu'une intervention de l'Etat est indispensable pour enrayer cette dynamique. Mais, pour l'heure, son rapport désigne plutôt le gouvernement comme l'un des responsables de la crise du logement. Il dénonce une politique guidée «par la seule rigueur budgétaire» depuis 2017, au détriment de la dimension sociale.

«Mesuré dans les Comptes du logement, l’effort public pour le logement consenti par l’État et les collectivités locales n’a cessé de baisser pour atteindre un point historiquement bas, d’1,6% du PIB, loin des 2,2 % de 2010. Soit une chute vertigineuse équivalente à 15 milliards d'euros chaque année», peut-on lire dans ce document qui souligne notamment les «coupes» dans les APL (Aide personnalisée au logement) et l'augmentation de la TVA sur le logement social.

L'urgence, selon Manuel Domergue, est de «sortir les personnes de la rue ou de l'hébergement d'urgence, en les dirigeant vers du logement social». Pour cela, il faudrait d'après lui «contraindre tous les acteurs du secteur à faire davantage d'attribution pour les sans domicile». C'est globalement l'idée du deuxième plan quinquennal pour le Logement d'abord, lancé en juin 2023 et jugé «insuffisant» par la Fondation abbé Pierre, même s'il «va dans le bon sens».

Cette stratégie implique obligatoirement un accroissement de la production de logement sociaux et du nombre de places d'hébergement d'urgence. Ces dernières ont été régulièrement renforcées ces dernières années mais la crise du logement a fait exploser les besoins.

Les annonces de Gabriel Attal

Mardi 30 janvier, lors de son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, a justement fait quelques annonces concernant le secteur du logement qu'il dit vouloir «déverrouiller». Il a promis un prêt de «très long terme de 2 milliards d'euros» pour le logement social et souhaite favoriser le développement de ces habitations en impliquant davantage les maires dans leur attribution.

Le Premier ministre a également annoncé vouloir «procéder à des réquisitions pour des bâtiments vides», notamment de bureaux. Vingt «territoires», dans lesquels seront accélérées «toutes les procédures» seront par ailleurs désignés dans deux semaines, avec pour objectif d'y créer «30.000 nouveaux logements d'ici trois ans».

Enfin, Gabriel Attal veut revoir le décompte des logements sociaux au titre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), qui oblige les communes en zone urbaine à avoir un taux minimal de logements sociaux. D'après le rapport de la Fondation abbé Pierre, 64% des villes soumises à cette règle n'ont pas atteint leurs objectifs 2020-2022.

Problème : le chef du gouvernement compte intégrer une part des logements intermédiaires, destinés plutôt aux classes moyennes voire moyennes supérieures, dans les quotas de la loi SRU. Or, Manuel Domergue rappelle que «les trois quarts des demandeurs de logements sociaux attendent un logement très social» ou PLAI (Prêt locatif aidé d'intégration), attribués aux locataires en situation de grande précarité.

«Il n'y avait déjà pas assez de logements sociaux et là on va donner l'opportunité à des maires qui ne veulent pas accueillir des pauvres sur leur territoire d'accueillir à la place des cadres, fustige-t-il. Favoriser le logement intermédiaire ne vient pas régler les problèmes sociaux les plus urgents. C'est à côté de la plaque».

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