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Le témoignage de Ramata Kapo, présidente d’«Excision, Parlons-en» et mutilée à l’âge de 1 an

Ramata Kapo invite les associations luttant contre les mutilations génitales féminines à être plus renseignés sur les dynamiques qui entourent ces pratiques, afin de ne pas braquer les victimes [©Ramata Kapo]

Ramata Kapo, 44 ans, est la présidente de l’association «Excision, Parlons-en». Ayant elle-même subi cette mutilation, elle lutte contre ces pratiques plus vieilles que les religions. Au sensationnalisme, elle privilégie une intransigeance nécessaire et une éducation sans relâche contre cette tradition répandue dans les cinq continents du monde.

À la tête de l'association «Excision, Parlons-en» depuis 2020, Ramata Kapo a un long parcours de militante contre les mutilations sexuelles féminines et en particulier contre l'excision. Ce chemin a commencé après la découverte de sa propre excision, au moment de sa première grossesse. Mais en réalité, Ramata Kapo s'était déjà vue dire «vous êtes excisée», lors d'une toute première consultation chez un gynécologue. 

«J’étais venue à 16 ans pour me faire prescrire la pilule contraceptive et on me parle d’excision, sans m’expliquer ce que c’est. Je me suis dit que c’était un truc futile et je ne suis pas partie plus loin. Je n'y ai même pas repensé en rentrant chez moi», se souvient la présidente de l'association. À son jeune âge et en plein milieu des années 1990, l'adolescente n'avait jamais eu de représentation du vagin : «Je ne savais pas non plus qu’il me manquait quelque chose», poursuit-elle. 

Ce n’est que cinq ans plus tard, au moment de sa première grossesse, que le terme «excision» ressurgit de la bouche d’un autre médecin qui lui fait alors compendre que celle-ci pourrait avoir des conséquences néfastes au moment de son accouchement. À ce moment, la jeune femme de 21 ans apprend et comprend que ce fait n'a plus rien d'anectotique, mais toujours sans plus d'explications.

Seule face à la découverte

Face à toutes ses questions sans réponses, ce n'est pas auprès d'un professionnel de santé mais sur le Web que la future mère de famille finit par découvrir seule ce qu'est réellement une excision : «Quand on fait des recherches sur Internet et qu'on n’est pas accompagnée, il faut être fort. Car lorsque l'on on voit les images qui montrent ce que c'est, c’est violent», explique-t-elle. 

[Ma mère] m’a dit que c’était comme ça, qu’elle l’avaient toutes étéRamata Kapo, présidente d'«Excision, Parlons-en !»

Lors de son accouchement, Ramata Kapo s'est vue effectuer une épisiotomie, qui a reveillé le traumatisme de son excision - pourtant survenue lorsqu'elle n'avait que 1 an. Pratiquée dans des situations où la sortie du bébé risque de provoquer des déchirures du périnée, cette incision sert à faciliter la naissance, mais a été une violence supplémentaire évitable selon la mère de famille, et selon plusieurs experts.

«C’est comme si on m’avait ravivé une blessure qui avait été complètement effacée de ma mémoire», s'est-elle rappelée. «Lorsque le médecin accompagne une femme par rapport à son excision, on peut trouver une autre solution, et l’épisiotomie est un peu l’option de facilité», déplore-t-elle, soulignant l'importance de former les professionnels de santé à la prise en charge des patientes victimes de mutilations sexuelles féminines.

C'est après cette découverte que Ramata Kapo a entamé son chemin vers la compréhension des racines de cette mutilation sexuelle vécue par 125.000 autres femmes en France, et plus de 200 millions de femmes et de petites filles, dans les cinq continents du monde.

Si elle a eu recours à l'opération de chirurgie réparatrice, la militante souhaite avoir un discours transparent et insiste lourdement sur le fait que la chirurgie seule ne suffit ni à se reconstruire, ni à retrouver une sexualité épanouie : «Il ne faut pas vendre aux femmes qu'il suffit d'appuyer sur un bouton pour que tout revienne comme avant (...) Ce qui m'a surtout aidé, c'est d'avoir grandi, mûri et surtout appris beaucoup de choses sur la sexualité. Maintenant, je peux vous dire qu'elle est épanouie», se réjouit-elle.

Des exciseuses elles-mêmes excisées à l'enfance

Pour combattre cette tradition dangereuse, il faut en connaître les dynamiques profondes, explique Ramata Kapo. Si la pratique trouve ses racines dans une tradition misogyne antérieure aux religions - certains hommes refusent d’épouser une femme non-excisée - ce sont pourtant des femmes plus âgées qui exécutent le «sale boulot», afin de «purifier» comme elles-mêmes l’ont été lorsqu'elles n’étaient que des petites filles.

Car les exciseuses ont elles-même connu la douleur de la lame, qui leur a toujours été présentée comme un acte bénéfique, jusque dans le lexique - en Bambara, on ne parle pas de mutilation ou d'excision mais de «mussoka blokoly», un acte de «purification» justifié faussement par la religion. «Les femmes sont persuadées de faire quelque chose de bien pour leur petite fille. Elles n’ont connu que ça, car c’est ce qu’on leur a toujours raconté», insiste-t-elle.

D'où l'enjeu de sensibiliser les plus jeunes, mais aussi les anciennes, qui sont le Cheval de Troie qui permettra de faire disparaître des moeurs les mutilations sexuelles féminines : «La parole de nos parents a un poids décisionnaire aux yeux de toutes celles et ceux qui sont restés dans les pays concernés, et avec lesquels ils ont gardé un lien. Combattre l’excision en France c’est bien, mais il est aussi primordial d’avoir une influence sur les pays concernés», explique Ramata Kapo.

Si la stigmatisation se mèle à la vérité, le message est faussé

La présidente de l'association insiste sur un point primordial : s'il doit être doté de fermeté et de clarté, le message devient inaudible à partir du moment où il est teinté de propos contribuant à stigmatiser les communautés concernées. Dès lors que la stigmatisation se mêle à la vérité, le tout est systématiquement rejetté, faisant des petites filles les premières victimes. «On est victimes d’une tradition qui nous dépasse», martèle-t-elle. 

Ramata Kapo invite les associations luttant contre les mutilations génitales féminines à être plus renseignés sur les dynamiques qui entourent les mutilations, afin de ne pas braquer les victimes qui viennent frapper à leur porte : «Lorsque j’ai appelé une association pour avoir des informations, la première chose que l’on m’a proposée fût de porter plainte contre mes parents. Pour moi c'était “no way”, j’ai raccroché», se souvient-elle. 

Et de souligner : «Entendons-nous bien, il faut porter plainte si c'est nécessaire, mais ce n'est pas la première chose qu'il faut dire à une victime qui appelle pour avoir un premier contact».

La présidente d'association déplore encore l'approche radicale qui lui a été proposée, alors qu'elle avait initialement appelé pour avoir des réponses, ainsi qu'un accompagnement : «Je ne me voyais pas porter plainte contre mes parents pour une chose dont je ne connaissais ni les tenants, ni les aboutissant. D'autant plus que certains parents ne sont parfois ni décisionnaires, ni au courant des mutilations».

Une histoire «apaisée»

Ce n'est que bien plus tard, «peut-être même vers 40 ans», que Ramata Kapo a appris auprès de sa mère l'histoire de son excision, survenue lorsqu'elle n'avait que 1 an : «Elle m’a expliqué que ma grande sœur et moi avons été excisées dans notre pays d’origine, parce que c’est comme ça que ça se passait et que ce n’était même pas elle qui avait choisi mais notre grand-mère paternelle», nous confie-t-elle. «Elle m’a dit que c’était comme ça, qu’elle l’avaient toutes été», ajoute Ramata Kapo. 

Autour de cette échange avec sa mère, elle a alors alerté, sensibilisé, déconstruit les idées reçues : «Je lui ai expliqué que l'excision n'avait rien à avoir avec la religion, ainsi que les conséquences qu'elles pouvaient avoir sur la santé. Et elle a compris».

«Aujourd'hui, lorsque ma mère entend "on va faire la purification de telle enfant”, c'est la première à s'y opposer fermement, et à dire que c'est dangereux pour la santé. C'est l'une de mes premières victoires», se félicite Ramata Kapo.

Plus de 200 millions de femmes ont été excisées à travers le monde, «ça fait plus de 200 millions d'histoires», indique la présidente d'Excision, Parlons-en. La sienne est apaisée : «Je n’ai donc aucun souvenir de mon excision car elle s’est passée très jeune», souligne-t-elle, admettant que cette donnée a une influence non-négligeable sur cet apaisement. 

«Je connais plein de filles qui sont en colère car elles ont été piégées par leurs parents. On a fait croire à certaines qu'elles partaient à une fête et au final elles ont été mutilées. Pour apaiser cette colère et obtenir réparation, elles ont besoin de la Justice». 

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