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Turquie : la liberté de la presse, point noir du bilan du gouvernement

Une pancarte réclame la libération de journalistes lors d'une manifestation devant un tribunal d'Istanbul, en 2011 [Mustafa Ozer / AFP/Archives] Une pancarte réclame la libération de journalistes lors d'une manifestation devant un tribunal d'Istanbul, en 2011 [Mustafa Ozer / AFP/Archives]

Les bilans se suivent, accablants, et font tous de la Turquie un égal de la Chine, l'Iran ou la Russie. Dix ans après son arrivée au pouvoir, le gouvernement islamo-conservateur turc est dénoncé comme l'un des plus répressifs de la planète contre la presse.

Publiée mi-octobre, à deux semaines du 10e anniversaire de la victoire du Parti de la justice et du développement (AKP) aux élections de 2002, la conclusion du rapport du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) ne pouvait plus mal tomber. Avec 76 détenus, la Turquie détient le record mondial du nombre de journalistes emprisonnés.

Les commentaires de l'ONG basée à New York sur les atteintes à la liberté de la presse ne sont guère plus amènes pour Ankara. "Le gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a mis en oeuvre une des plus vastes opérations de répression de la liberté de la presse de l'histoire récente", écrit le CPJ.

La plupart des journalistes poursuivis par les autorités turques le sont pour leur proximité, avérée ou supposée, avec les séparatistes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation interdite en rébellion armée depuis 1984 contre Ankara.

Le procès de 44 d'entre eux, un record, s'est ouvert en septembre devant un tribunal d'Istanbul. Tous risquent de 15 à 22 ans de réclusion.

Sous le feu des critiques, le gouvernement turc nie catégoriquement s'en prendre aux journalistes pour leur seule activité mais uniquement pour leur appartenance à des organisations terroristes.

Dans un discours de 2011 resté dans les mémoires, le ministre de l'Intérieur Idris Naim a justifié sans complexe cette politique. "La terreur est un phénomène aux multiples visages qui peut prendre la forme de la psychologie ou de l'art", avait-il lancé, "on la trouve parfois sur une toile, dans un poème, dans un article de journal ou même une simple boutade".

Comme d'autres, Irfan Aktan a fait les frais de cette politique. Depuis 2001, il couvre l'actualité kurde pour le magazine turc Express. En 2009, il a été inculpé pour propagation de "propagande terroriste" après un article dans lequel il citait des responsables du PKK.

- "Journaliste d'Etat" -

"J'ai été convoqué pour être entendu par un procureur d'Istanbul deux semaines après la publication de mon article", raconte-t-il, ajoutant : "Mon activité de journaliste a été considérée comme de la propagande".

En 2010, un tribunal stambouliote l'a condamné à un an et demi d'emprisonnement et à une amende de 16.000 livres turques (environ 7.000 euros). Une peine dont le juge lui a assuré qu'elle serait suspendue s'il ne répétait pas la même infraction pendant cinq ans. "C'est une mesure destinée à contraindre les journalistes à l'autocensure", dénonce Irfan Aktan, "je ne serai pas poursuivi si j'accepte de devenir un journaliste d'Etat".

Cette politique répressive assumée ne vise pas seulement les reporters ou les médias kurdes, mais aussi leurs confrères les plus réputés. En mars, deux journalistes d'investigation, Ahmet Sik et Nedim Sener, ont été libérés après avoir passé 375 jours en cellule pour leur implication supposée dans une tentative de coup d'Etat contre le gouvernement.

Outre ces dossiers très médiatisés, les entraves à la liberté de la presse sont fréquentes en Turquie. En septembre, l'AKP a refusé l'accréditation à son congrès de plusieurs médias jugés trop critiques. Le Premier ministre Erdogan a assumé ce refus en expliquant qu'il n'était pas "obligé" d'inviter tout le monde.

Un de ses avocats, Ali Ozkaya, s'est même récemment félicité que les poursuites engagées par le chef du gouvernement contre ses critiques servent de "dissuasion". "Le ton des éditorialistes a notablement changé, particulièrement depuis 2003", s'est-il réjoui dans le quotidien en anglais Hürriyet Daily News.

Aujourd'hui, certains attribuent pour partie cette dérive autoritaire à des facteurs exogènes. "En ralentissant le processus d'adhésion de la Turquie, l'Union européenne n'aide pas la presse turque ni ceux qui militent pour des réformes démocratiques", regrette un diplomate occidental.

Mais pour d'autres, elle n'est le fait que du pouvoir turc lui-même. "L'UE ne peut être une excuse", juge le chercheur Can Baydarol, "la Turquie doit se regarder en face si elle veut exporter la démocratie chez ses voisins".

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