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Fukushima : "l'homme qui a vu l'abîme de la mort"... est mort

Masao Yoshida (c)ancien responsable de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi de Tokyo Electric Power (Tepco), le 12 novembre 2011, à Okuma, dans le nord du Japon [Japan Pool / JIJI PRESS/AFP/Archives] Masao Yoshida (c)ancien responsable de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi de Tokyo Electric Power (Tepco), le 12 novembre 2011, à Okuma, dans le nord du Japon [Japan Pool / JIJI PRESS/AFP/Archives]

"Si ça explose, on va crever": face à des supérieurs incrédules à Tokyo, le directeur de la centrale en péril de Fukushima a géré la crise à bout de bras au point de désobéir aux ordres pour sauver le Japon. Deux ans et demi plus tard, Masao Yoshida est mort, salué par de nombreux Nippons.

Cet homme qui était arrivé en juin 2010 à Fukushima Daiichi est décédé mardi à l'âge de 58 ans d'un cancer de l'oesophage qui, affirme son employeur Tokyo Electric Power (Tepco), ne serait pas lié aux radiations (de 70 millisieverts) encaissées entre le 11 mars 2011, jour de l'accident, et la mi-novembre 2011 quand, malade, il a dû quitter ses fonctions.

"Lorsque les explosions se sont produites dans les bâtiments des réacteurs 1 et 3 et qu'il était impossible d'injecter de l'eau dans le numéro 2, j'ai bien cru que c'était la fin", avait confié M. Yoshida en novembre 2011 lors de l'unique rencontre avec des journalistes dans la centrale.

"C'était un homme plein d'humour comme le sont les personnes originaires d'Osaka", se souvient Ryusho Kadota, auteur de "l'homme qui a vu l'abîme de la mort, Masao Yoshida et 500 jours à Fukushima Daiichi".

11 mars 2011, 14H46: lorsque la terre tremble violemment, les employés de la centrale comprennent qu'un combat s'engage, mais aucun ne pense alors qu'il sera si terrible. M. Yoshida, lui, s'y prépare: "dans les situations d'urgence, toujours imaginer le pire...".

Pourtant, dans les premières minutes, tout se passe comme prévu en cas de séisme: les réacteurs s'arrêtent automatiquement. Le drame allait venir de la mer: un énorme raz-de-marée engloutit une partie du site.

Des employés vêtus d'équipements de protection près du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, le 6 mars 2013 [Issei Kato / POOL/AFP/Archives]
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Des employés vêtus d'équipements de protection près du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, le 6 mars 2013
 

M. Yoshida est en première ligne. "Yabai!" ("c'est horrible"). "Des informations disparates arrivaient de partout", racontera-t-il plus tard, "sur le tsunami, les salles de contrôle plongées dans l'obscurité, la rupture des systèmes d'alimentation électrique, l'impossibilité de lire les paramètres...".

Puis tout alla de mal en pis: les explosions, celle du samedi 12 après-midi, qui souffle le bâtiment du réacteur numéro un, puis celle du numéro trois, le 14. "Le siège, le siège !! C'est grave, c'est grave!!". M. Yoshida hurle dans le micro du système de visioconférence qui le relie au QG de Tepco, à Tokyo.

Des épisodes tragiques, il n'y a que cela.

Deux semaines après le drame, le 25 mars 2011, M. Yoshida, à bout de force, craque, il a besoin de repos: "physiquement, je n'en peux plus. Laissez-moi revenir un peu à Tokyo, pardon, pardon", dit-il en sanglots au micro, selon les extraits des visioconférences rendus publics par Tepco. Il ne partira que quatre petits jours.

"On a échappé de justesse à un Tchernobyl puissance 10", dira plusieurs mois après. M. Yoshida, déjà très malade, victime d'un cancer, puis plus tard d'une hémorragie cérébrale.

Masao Yoshida avait la confiance de ses subordonnés et osait tenir tête à ses supérieurs. "C'était un profil atypique parmi les employés de Tepco, on le remarquait", a reconnu mardi l'actuel patron de la compagnie, Naomi Hirose.

Masao Yoshida ancien responsable de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi de Tokyo Electric Power (Tepco), le 12 novembre 2011, à Okuma, dans le nord du Japon [Japan Pool / JIJI PRESS/AFP/Archives]
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Masao Yoshida ancien responsable de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi de Tokyo Electric Power (Tepco), le 12 novembre 2011, à Okuma, dans le nord du Japon
 

Le meneur d'équipe Yoshida a même eu la présence d'esprit et le courage de désobéir à des ordres jugés techniquement aberrants venus d'en haut. S'il avait cessé d'injecter de l'eau de mer dans le réacteur numéro un comme on le lui enjoignait le 12 mars, la situation aurait pu devenir incontrôlable, et le scénario du pire, celui de l'évacuation de Tokyo, qui existait sur le papier, aurait alors dû être exécuté.

Considéré comme celui qui a évité l'apocalypse, Masao Yoshida bénéficie de la reconnaissance des habitants de Fukushima et de l'est du Japon. "Je prie sincèrement pour son âme", a confié à l'AFP un ex-habitant de Tomioka, chassé de sa maison par les radiations. "Le décès de cet homme qui s'est tant dévoué pour nous est très regrettable", dit une autre à la télévision. "S'il n'avait pas été là, la région n'existerait plus", renchérit un troisième.

"Son témoignage aurait pu être si utile, sur la nécessité ou non de relancer les réacteurs nucléaires, sur les mesures spécifiques de sûreté à prendre et sur bien d'autres choses", déplore un éditorialiste du quotidien Asahi Shimbun, Junichiro Emura.

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