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Esclavage sexuel, torture psychologique : le témoignage de prisonnières Yazidis de Daesh

Les anciens prisonniers yazidis survivent dans des camps de réfugiés de fortune qui ne sont pas équipés pour faire face à leurs traumatismes.[SAFIN HAMED / AFP]

La communauté ethnique kurde des yazidis est l’une des cibles principales de Daesh en Irak. Des prisonniers ayant échappé au groupe terroristes témoignent de l’horreur. 

Nofa Mahlo, une femme yazidi de 37 ans, a été détenue pendant 19 mois par Daesh. Un emprisonnement dans des prisons souterraines surpeuplées, coupée de ses enfants. Esclave sexuelle pour les combattants du groupe terroriste, elle n’avait aucun contact avec le monde extérieur. 

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Son témoignage, rapporté par le magazine américain Foreign Policy, permet de mieux mesurer l’horreur quotidienne vécue par ces femmes. Considérés comme des «adorateurs du diable» par Daesh, les yazidis sont les victimes d’un nettoyage ethnique, notamment depuis la prise de Sinjar, leur fief. Dans les premiers jours de l’invasion de leur territoire par les forces jihadistes de Daesh, 5.000 d’entre eux ont été exécutés, et plus de 3.000 jeunes femmes ont été enlevées et forcées à l’esclavage sexuel. 

«Je ne sais pas s’ils sont morts ou vivants»

Pour Malho, libérée en mars 2015, la liberté retrouvée n’est qu’illusion : «je ne me sentirais libre que lorsqu’ils auront libéré ma famille». De fait, deux de ses six enfants sont toujours en captivité, et le sort de son mari reste une donnée inconnue. «Je pense tout le temps à ma famille, je ne sais pas s’ils sont morts ou vivants».

L’état mental des yazidis libérés inquiète au plus haut point les ONG, et pour cause, aucun des 15 camps où survivent d’anciens prisonniers yazidis de Daesh n’est équipé de cellule psychologique selon Azzat Ibrahim Khadeeda, superviseur pour l’ONG suisse Medair : «c’est la plus grande faiblesse des services que nous offrons». 

yazidis_camps_de_refugies_torture_psychologiques.jpgILYAS AKENGIN / AFP

Des médicaments pour éviter les grossesses

Pourtant, et c’est une évidence, les sévices vécus notamment par les femmes yazidis sont des plus traumatisants. Quotidiennement violées par combattants de Daesh, constamment exposées à l’horreur puisqu’en guise d’avertissement les corps des prisonniers rebelles pourrissent dans des cellules voisines, Nofa Mahlo et ses semblables ont traversé l’enfer. Selon l’interprétation de Daesh, les femmes esclaves peuvent «passer» d’un combattant à l’autre dès lors qu’il est avéré qu’elles ne sont pas enceintes. Les combattants les forcent alors à ingérer quantité de médicaments supposés empêcher les grossesses afin de pouvoir changer de partenaire à volonté. 

Les prisonnières sont nourries la plupart du temps de riz et de boulgour, «juste assez pour nous empêcher de mourir». Pour la jeune femme cependant, rien n’a été pire que la perte de ses enfants : «la partie la plus difficile a été quand ils ont pris mes fils. J’ai essayé de les retenir, mais les soldats m’ont battu jusqu’à ce que je ne puisse plus m’opposer à eux». 

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Torture psychologique

La torture psychologique a laissé des traces profondes. Nofa Mahlo se méfie par exemple de la viande dont elle ne connaît pas l’origine en raison des histoires qui circulent dans les geôles de Daesh. Des histoires racontées par Mahlo : «les femmes se sont plaintes du fait que la viande avait un gout étrange. Quand elles ont eu fini, les combattants leur ont dit que c’était la viande de leurs propres enfants». D’autres histoires racontent que des prisonniers auraient trouvé des doigts humains dans les plats de riz. 

«Nous savons ce que sont les symptômes d’un traumatisme, mais nous n’avons pas le personnel pour nous occuper de ça», plaide Azzat Ibrahim Khadeeda, qui ajoute : «les yazidis ne se sentent pas en sécurité en Irak. Ils ne peuvent plus faire confiance à personne et ont une image assez sombre de leur avenir au Moyen-Orient». 

yazidis_camps_de_refugies_violences_sexuelles.jpgSAFIN HAMED / AFP

Les hommes yazidis ont aussi connu l’enfer

Les hommes yazidis n’ont pas été épargnés par l’horreur. Employés de force au creusement de tunnels sous les villes conquises par le groupe terroriste, certains étaient utilisés comme leurre dans les affrontements. Envoyés en première ligne, ils devaient attirer le feu ennemi loin des combattants de Daesh. C’est le sort qu’a connu Khero Maijo, 27 ans. «Je suis en vie, mais je pensais que cela aurait été mieux de mourir. Je ne pensais jamais m’en sortir». Finalement Maijo a réussi a s’échapper, mais il peine à retrouver une vie normale, à oublier ce qu’il a traversé : «j’essaye de regarder des émissions, mais je ne peux pas me concentrer suffisamment pour suivre ce qui se passe» explique-t-il. Pour Heather Barahmand de l’ONG Yazda, qui coordonne l’un des rares programme psychologique au nord de l’Irak, Maijo est victime de stress post-traumatique, comme beaucoup d’autres. 

L’une de ses principales tâches est d’aider les anciens prisonniers de Daesh à faire face à la réalité qui est la leur : «en captivité, les gens ont tendance à construire des réalités qui ne sont pas celles qui sont les leurs à leur libération» raconte-t-elle. «Ils imaginent rentrer chez eux, mais ils vont en réalité dans des camps de réfugiés. Ils pensent retrouver leur famille, mais finissent généralement seuls. Nos patients vont d’un traumatisme à un autre». 

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«Je veux juste savoir ce qui est arrivé à ma famille»

A l’heure actuelle, le principal problème de ces ONG est de trouver de nouveaux sites d’accueil et de nouvelles sources de financement. «Il est difficile de se remettre d’un traumatisme psychologique si la victime ne se sent pas en sécurité. Nous devons agir vite si nous voulons que les yazidis remontent la pente», explique Miza Dinnayi, fondateur de l’ONG Air Pont Iraq qui fourni une assistance d’asile en Allemagne pour 1.000 femmes et enfants anciennement captifs de Daesh. Pourtant, pour certains comme Nofa Mahlo, l’important est ailleurs : «je ne me soucie pas de la nourriture, ou de trouver une maison. Je ne veux pas aller en Europe. Je veux juste savoir ce qui est arrivé à ma famille». 

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