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Des violences font 33 morts à New Delhi : pourquoi les communautés hindoue et musulmane s'opposent-elles ?

La population indienne se déchire à cause d'une loi controversée sur la citoyenneté.[NARINDER NANU / AFP]

En Inde, la tension ne retombe pas. Depuis dimanche 23 février, les violences intercommunautaires ont fait 33 morts à New Delhi. Le conflit oppose des habitants de confession hindoue à la minorité musulmane.

Les premier heurts ont éclaté dimanche soir, lorsque des groupes hindous se sont opposés à une manifestation de musulmans contre une loi controversée sur la citoyenneté.

Cette législation, jugée discriminatoire par ses détracteurs, facilite l'obtention de la citoyenneté indienne pour les réfugiés d'Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan arrivés avant 2015, à l'exception des musulmans.

Adoptée le 11 décembre 2019 par le Parlement, elle a cristallisé les craintes de la minorité musulmane - 200 millions de personnes pour 1,3 milliard d'Indiens - d'être reléguée au rang de citoyens de seconde classe, dans cette nation où les hindous représentent 80% de la population.

Des émeutiers armés de pierres, de sabres et parfois de pistolets ont semé le chaos et la terreur dans des faubourgs populaires du nord-est de la capitale, éloignés d'une dizaine de kilomètres du centre.

Sunil Kumar, directeur du principal hôpital de la zone, a indiqué à l'AFP avoir recensé 30 morts dans son établissement. Un autre hôpital a, lui, fait état de trois décès en lien avec ces affrontements.

Plus de 200 personnes ont aussi été blessées, beaucoup par balles. Cette flambée de violences intercommunautaires, pour laquelle la police a interpellé 100 personnes, est la pire à frapper la capitale depuis les massacres de Sikhs en 1984 en représailles à l'assassinat d'Indira Gandhi.

Plusieurs mosquées brûlées

Selon une liste de personnes décédées dans le principal hôpital, que l'AFP a consultée, les victimes semblaient à peu près autant hindoues que musulmanes, à en juger d'après leur nom.

Lors de multiples incidents, des groupes armés hindous s'en sont pris à des lieux et à des personnes identifiés comme musulmans, au cri du slogan religieux «Jai Shri Ram» («Loué soit le dieu Ram»).

Plusieurs mosquées ont été brûlées dans la zone. Un drapeau hindou, représentant le dieu-singe Hanuman, a été hissé sur le minaret d'une mosquée mise à sac, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Jeudi, la tension restait prégnante et la méfiance régnait. Dans le quartier d'Ashok Nagar, principalement composé d'hindous, les émeutiers ont incendié les maisons des familles musulmanes.

«Personne (des autorités, ndlr) n'est venu nous aider. Ce sont nos voisins hindous qui nous ont aidés. Ils nous ont assistés pour arroser le feu. Ils ont apporté des seaux d'eau. Ils nous préparent du thé. Ils nous demandent sans cesse si nous avons besoin de quelque chose», a témoigné Bilkis, une mère de sept enfants dont le domicile a été en grande partie endommagé.

Les détracteurs de Narendra Modi, Premier ministre indien, l'accusent de vouloir transformer l'Inde laïque en un pays purement hindou. Le chef de gouvernement, au pouvoir depuis 2014 et largement réélu l'année dernière, a appelé mercredi ses concitoyens à «la paix et la fraternité».

Ses adversaires politiques pointent toutefois du doigt les discours incendiaires tenus par des responsables de son parti, notamment lors de la campagne pour des élections locales à Delhi au début de l'année.

Des représentants du Bharatiya Janata Party (BJP), avaient assimilé les manifestants contre la loi sur la citoyenneté à des «jihadistes», certains appelant même à les incarcérer ou à les abattre.

Les capitales mondiales sont restées globalement silencieuses sur ces violences, à l'exception d'Ankara. Se posant de longue date en défenseur des musulmans dans le monde, le président turc Recep Tayyip Erdogan a dénoncé jeudi les «massacres» commis selon lui par les hindous contre les musulmans.

Des émeutes «en germe depuis longtemps»

Michelle Bachelet, Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, s'est également inquiétée «des informations faisant état d'inaction de la police devant les attaques contre les musulmans par d'autres groupes»

En visite d'État en Inde au moment de l'embrasement, le président américain Donald Trump a esquivé en conférence de presse une question sur le sujet, disant ne pas avoir discuté de ces émeutes avec Narendra Modi.

Dans une tribune publiée jeudi dans le quotidien Indian Express, l'intellectuel Pratap Bhanu Mehta estime que les émeutes de Delhi «étaient en germe depuis longtemps».

«Il ne fait aucun doute que l'État aurait pu stopper la violence plus rapidement s'il l'avait voulu», a-t-il affirmé, s'inquiétant que ces événements soient «un prélude à un possible pogrom, ou au moins une ghettoïsation» des musulmans en Inde.

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