En direct
A suivre

Brésil : Pourquoi Lula est-il si populaire ?

Lula a été président du Brésil de 2003 à 2010 Lula a été président du Brésil de 2003 à 2010. [NELSON ALMEIDA / AFP]

Le duel des titans devrait bien avoir lieu en octobre prochain. Lula, ancien président de gauche ultra-populaire, vient d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle, pour briguer un troisième mandat. Face au président sortant Jair Bolsonaro, il est déjà donné vainqueur et de très loin.

Selon un sondage de l’institut brésilien Datafolha du 24 mars dernier, Lula est crédité de 43 % des intentions de vote au premier tour, balayant ainsi tous ses adversaires, et en particulier Jair Bolsonaro (26 %). Face à ce dernier, Luiz Inacio Lula Da Silva gagnerait l’élection à 59 % au second tour, mais selon certains scénarios, il pourrait remporter le scrutin dès le premier. Si l'écart entre les deux candidats s'est depuis resserré (36 % pour Bolsonaro contre 41 % pour Lula début avril, selon PoderData), Lula reste le grand favori.

Hier, samedi 7 mai, au cours d'un meeting très observé, l'ex-président brésilien (2003 - 2010) a d'ailleurs prévenu qu'il comptait bien «retourner au combat» pour briguer un troisième mandat afin, a-t-il dit, de «reconstruire» le pays, après la gestion «irresponsable et criminelle» de Jair Bolsonaro.

«Nous sommes tous prêts à travailler non seulement pour la victoire le 2 octobre, mais pour la reconstruction et la transformation du Brésil, qui sera plus difficile que la victoire lors de l'élection», a déclaré l'homme de 76 ans, devant 4.000 de ses partisans réunis à São Paulo.

Pourtant, en 2015, des milliers de Brésiliens avaient défilé dans les rues de Rio, Brasilia, São Paulo, contre sa successeure, la présidente de gauche Dilma Rousseff, héritière politique de Lula, et le Parti des Travailleurs (PT), fondé par l'ancien président lui-même, accusés de corruption. Un mouvement d’une ampleur sans précédent puisque la présidente avait été soumise à une procédure de destitution, et remplacée fissa par son vice-président de centre-droit.

Dans le cadre du scandale Petrobras, pierre angulaire de la chute de la gauche depuis 2014, Lula a été accusé d’être intervenu pour l’attribution de contrats à l’entreprise pétrolière, et donc également accusé de corruption. L’opération Lava Jato, diligentée par le juge Sergio Moro (devenu ensuite ministre de la Justice de Bolsonaro), a abouti à la condamnation de Lula à douze ans de prison et à son incarcération en avril 2018. Il a été libéré un an et demi plus tard, après une décision de la Cour suprême d’annuler sa condamnation.

Fin avril de cette année, le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU a par ailleurs affirmé que l'enquête et les poursuites engagées contre Lula, et qui ont mené à son emprisonnement, avaient bafoué son droit à être jugé par un tribunal impartial. Cet avis faisait suite à une plainte déposée par Lula lui-même auprès de l'organisation après son incarcération.

la trajectoire personnelle de Lula parle à de nombreux brésiliens

Malgré ces scandales de corruption, l’ancien président brésilien (2003-2010) jouit toujours d’une grande popularité. «Pour de nombreux Brésiliens, le procès fait à l'ancien président a été un procès politique. La Cour suprême, lorsqu’elle a annulé ses condamnations, a également affirmé que le juge Moro avait été partial et donc avait agi de manière biaisée», souligne Gaspard Estrada, politologue et directeur de l’Observatoire politique d’Amérique latine et des Caraïbes de Sciences Po Paris. «Progressivement, l'image de Lula va se distinguer du Parti des Travailleurs», explique le chercheur.

Sa popularité, Lula la doit donc surtout à son histoire et à son bilan politique. «Lula joue aussi sur sa trajectoire personnelle, sa figure. C'est quelqu'un qui, pendant la dictature militaire, avait été emprisonné pour son combat syndical à la fin des années 1970, juste avant de créer le PT. Et il fait aussi un parallèle entre son emprisonnement sous la dictature et le fait d'avoir été emprisonné en 2018», analyse Frédéric Louault, spécialiste de l’Amérique latine et directeur du centre d’études politiques de l’Université libre de Bruxelles. «Il a laissé dans les mémoires l'image d'un président qui avait produit du développement au Brésil, à la fois du développement économique mais aussi de la lutte contre les inégalités et la pauvreté», poursuit le chercheur.

Lula, né le 27 octobre 1945, est issu d’une famille nombreuse et modeste de la région du Nordeste du Brésil, la plus pauvre du pays. Fuyant la misère, sa famille rejoint São Paulo, mais la mère étant seule à élever ses enfants, Lula se voit contraint de quitter l’école à 10 ans pour travailler et subvenir aux besoins des siens. Dans les années 1960, il est alors ouvrier, s’engage dans le syndicat de la métallurgie à 21 ans et devient, au fil des années, une figure incontournable du syndicalisme ouvrier, ce qui lui permet d’entamer une carrière politique à la fin des années 1980. Il est élu président du Brésil en 2003, après trois tentatives infructueuses.

un bilan économique et social positif de Lula...

Fin 2010, lorsque Lula quitte le pouvoir et passe le relais à Dilma Rousseff, il détient toujours 80 % d’opinions favorables de la part de la population, l’un des taux les plus élevés jamais vu dans l’histoire des démocraties dans le monde. Ses actions contre la faim et la pauvreté avaient été saluées jusqu’aux Nations unies. Au terme de ses deux mandats, la malnutrition au Brésil avait reculé de 70 % et le taux de mortalité infantile de 47 %.

Un bilan économique et social plus que positif sur lequel Lula va pouvoir s’appuyer pour l’élection de 2022 : «Le Brésil de 2010 est un Brésil qui avait une croissance de 7,5 %, avec la fin de la faim, et 3,6 millions de personnes qui sont sorties de la pauvreté et entrées dans les classes moyennes... Il y avait une situation économique et sociale très positive et Lula incarne en quelque sorte cet espoir d’un retour à la normale, et surtout d’un retour à des jours bien meilleurs», explique Gaspard Estrada.

«Lula a une politique qui converge vers la lutte contre les inégalités sociales et il a déjà beaucoup fait pour des secteurs aujourd’hui en crise, comme l’emploi ou la santé», explique Katia Almeida Silveira, brésilienne mère au foyer habitant à Recife, capitale de l’Etat du Pernambouc, à l'est du pays. «Je soutiens Lula en raison de son souci des plus pauvres, de son souci de l'éducation, et surtout par volonté de rêver à nouveau d'un pays plus juste. La population avait, de manière générale, une meilleure qualité de vie sous ses mandats», abonde Iraci, sa sœur, aujourd’hui retraitée.

...Contre un mandat plus difficile à défendre pour Bolsonaro

L’ancien président de gauche pourra évidemment faire valoir sa politique en comparant son bilan à celui du président sortant Jair Bolsonaro. De nombreux Brésiliens reprochent à ce derneir sa gestion de la crise sanitaire, alors que l’ancien capitaine de l’armée a longtemps nié la gravité de la maladie, qu’il a souvent qualifiée de «grippette». Bilan : plus de 620.000 morts, soit le deuxième pays le plus endeuillé après les Etats-Unis.

Même avant la pandémie de coronavirus, qui a affecté toutes les économies du monde, le pouvoir d’achat des Brésiliens avait déjà commencé à décliner, à cause de l’inflation galopante, passée de 3,75 % par an en janvier 2019, à l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, à 10,74 % au mois de novembre suivant. Pendant les quatre années de son mandat, le taux de chômage a oscillé entre 11 % et près de 15 %, des taux historiquement élevés. Sa politique en matière de protection de l'environnement, et plus spécifiquement de l'Amazonie, a été plus que critiquée, à l'échelle nationale comme internationale. Il a par ailleurs été plusieurs fois accusé de «crime contre l'humanité». Depuis le début de son mandat, environ 140 demandes de destitution ont été formulées à l’encontre du président d’extrême droite. Aucune n'a abouti, le président de la Chambre des députés, chargée de la procédure, étant l'un de ses alliés politiques.

«L’avantage de Lula pour cette élection, c'est que lui peut jouer encore sur l'héritage qu'il avait laissé, sur la bonne image qu'il avait laissée après huit ans au pouvoir, alors que Bolsonaro a été élu en 2018 sans programme et va devoir défendre un bilan alors qu’il n’est pas très habile», souligne Frédéric Louault.

Vers un coup d'État militaire ?

Cependant, malgré un mandat plutôt difficile, marqué par les scandales, Jair Bolsonaro n’envisage pas de céder sa place. Le président d’extrême droite avait déjà déclaré que les seules issues possibles pour lui étaient soit d’être réélu, soit d’être jeté en prison, soit d’être tué. Des déclarations qui laissent difficilement présager une passation de pouvoir dans le calme en cas de victoire de Lula en octobre prochain. Selon le chercheur de l'Université libre de Bruxelles, une tentative de coup d'Etat par Bolsonaro «n'est pas quelque chose qu'il faut exclure».

«Il a déjà annoncé qu’il y aurait des fraudes aux prochaines élections. C’est une stratégie qui vise à enlever toute la confiance des citoyens envers le système électoral. Déjà avant l'élection, le scénario contribue à fragiliser la démocratie brésilienne», rappelle Frédéric Louault. Au début du mois de mai, le porte-parole de la diplomatie américaine a même invité les Brésiliens a garder «confiance» dans leur système électoral, sans cesse bafoué par le président d'extrême droite, qui souhaite même revenir sur le vote électronique qu'il ne juge pas fiable, alors même qu'il a été élu par ce système.

«Donc, il est tout à fait envisageable, voyant l'élection lui être défavorable, qu’il tente de mobiliser l'armée et de faire un coup de force pour rester au pouvoir. La question, c'est : est-ce que l'armée va le suivre ?», s'interroge le chercheur de l'Université Libre de Bruxelles.

S’il n’est pas certain que l’armée se mobilise et marche sur les institutions, il est toutefois possible de voir une forte réaction des partisans de Jair Bolsonaro en cas de défaite, comme ce fut le cas le 6 janvier 2021 aux Etats-Unis, lorsque Donald Trump avait perdu l’élection présidentielle et que ses partisans avaient envahi le Capitole.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités