En direct
A suivre

Présidentielle en Turquie : la diaspora turque détient-elle les clés du scrutin ?

La diaspora turque représente entre 5% et 6% des électeurs. [Imad Alassiry/Unsplash]

Alors que la Turquie a réélu ce dimanche 28 mai Recep Tayyip Erdogan face à Kemal Kiliçdaroglu à l'issue du second tour de l'élection présidentielle, le vote de la diaspora turque à l’étranger a beaucoup plus été dirigé vers le président sortant lors du premier tour, notamment en France, en Allemagne ou en Belgique.

Des résultats mitigés. Après un des premiers tours de présidentielles les plus serrées de ces dernières années, la Turquie a réélu le président sortant et islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, face au candidat des oppositions Kemal Kiliçdaroglu.

Si l’issue du scrutin a été incertaine en Turquie, où le président sortant a obtenu 49.52% des voix, le vote de la diaspora turque en Europe de l’Ouest s’est tourné à l’avantage de Recep Tayyip Erdogan. A titre d’exemple, en France, où le nombre de Turcs est estimé entre 1 et 2 millions de personnes, l’homme fort d’Ankara a obtenu 64.76% des voix, contre 33.63% pour Kemal Kiliçdaroglu. La même tendance a été également observée en Allemagne (65.49% pour Erdogan) ou encore en Belgique (72.31% pour Erdogan).

Au vu des résultats, la forte présence de la communauté turque dans ces pays, dont la majorité soutient Recep Tayyip Erdogan, a facilité la domination de l’islamo-conservateur dans cette zone. A l’inverse, le chef de l'Etat a été largement dominé par son rival issu de la mouvance sociale-démocrate en Espagne, au Portugal, en Italie ou même en Grande-Bretagne.

«L’immigration n’est pas la même partout. Ceux qui ont voté massivement pour Kemal Kiliçdaroglu ne font pas partie d'une immigration économique. Ils sont issus de la classe aisée bourgeoise, jeune et dynamique. Le reste de la diaspora est issue de l'Anatolie et est attachée à son identité religieuse quand elle vote pour Erdogan», estime la journaliste et essayiste Claire Koç.

fibre patriotique et Islam

Comme en 2018, celui qui incarne aux yeux des Turcs «la fierté nationale» s’est imposé dans des terrains déjà conquis en jouant la carte de la «séduction».

«C’est un vote de fierté et d’espoir pour la grande Turquie, ce n’est pas un vote pour les fins de mois, ni pour le pouvoir d’achat (…) Quand on vit à l’étranger et on émigre, on a une certaine fibre patriotique qui naît vis-à-vis de son pays d’origine. Erdogan flatte l’égo de ceux qui votent pour lui parce qu’il incarne à leurs yeux ce qu’ils espèrent : c’est-à-dire retrouver la grandeur de la Turquie», nous explique l'auteure de «Claire, un prénom de la honte» (éditions Albin Michel).

«Il joue un rôle important dans l’échiquier international qui prend de l’ampleur. Et cela joue sur la fierté et l’orgueil des Turcs. Cette notion de fierté s’explique comme cela auprès de ceux qui votent pour lui parce que, malgré un bilan économique catastrophique et une gestion très critiquée du tremblement de terre, le président sortant frôle les 50% pour se qualifier au second tour. Après 20 ans au pouvoir, c’est assez impressionnant à observer», ajoute-t-elle.

Autre que la fierté, le président sortant se présente comme étant l’un des plus grands défenseurs de l’islam et tente de réaffirmer la position turque sur l’échiquier international. «Quand on observe sa manière de faire, on a l’impression qu'il veut prendre la place de la France, pays de la diplomatie, comme on l’a vu durant la guerre en Ukraine. C’est la Turquie qui a négocié l’exportation du blé ukrainien sous son contrôle notamment pour l’Afrique», explique l’essayiste.

«Certaines des personnes qui votent en majorité pour le parti d'Erdogan vont voter à gauche en France parce qu'elles estiment que c'est elle qui les représente le mieux. Un vote par intérêt communautaire car ces personnes ont des préoccupations identitaires. Cela ne les dérange pas de vivre en France tout en votant en Turquie pour un parti islamo-conservateur. Ces électeurs n'envisageraient pas de voter pour un parti conservateur en France», a-t-elle estimé. 

Tant de motifs qui jouent sur le choix la diaspora turque lors de cette élection. Toutefois, et malgré une présence plutôt significative à l’international, celle-ci ne suffit pas, à elle seule, pour faire la différence. «La diaspora turque représente entre 5% et 6% des électeurs. Cela peut être significatif lorsque les élections sont serrées. Là, chaque voix compte pour faire la différence. Néanmoins, cela ne suffit pas à déterminer les résultats à eux-seuls», assure Claire Koç.

Une tendance qui se traduit également dans les attentes politiques

Ce clivage Erdogan-Kiliçdaroglu est parfaitement visible lorsque l'on interroge les membres de la diaspora turque sur leurs attentes, eux qui ont des visions différentes de la «nouvelle» Turquie.

Du côté des soutiens à Recep Tayyip Erdogan, on défendait le bilan du chef de l’Etat sortant tout en priorisant l’aspect sécuritaire en cas de réélection. «Recep Tayyip Erdogan essaye d’améliorer, le plus possible, la situation. Il a une équipe au top et est très respecté. De notre œil extérieur, il a fait énormément pour cette Turquie qui se développe, avec le temps, plutôt dans le bon sens», estime ainsi Ümran, une trentenaire parisienne originaire de Gümüşhane, dans l’Est de la Turquie, ayant voté pour le président sortant au premier tour.

«Quand c’est comme cela, on a envie de garder la même personne au pouvoir (…) Ce que j’attends d’Erdogan c’est notamment de se développer en termes de sécurité. On sait que le terrorisme est présent en Turquie et s’ajoute à cela la forte présence d’immigrés dans le pays», ajoute Ümran, indiquant qu’il serait temps que le gouvernement turc se penche sur le féminicide en Turquie car, selon elle, «les femmes ne sont pas assez entendues».

S’agissant des électeurs de Kemal Kiliçdaroglu, on estime que le président sortant a rompu avec les idées de Kemal Atatürk, père fondateur de la Turquie, menant le pays dans une sorte d'«autoritarisme».

«Le parti AKP dirige le pays depuis 21 ans, et Erdogan depuis presque 10 ans. Durant ces décennies, le président sortant et son parti ont commis plusieurs grandes erreurs dont certaines sont contraires aux idées d’Atatürk», juge Kubilay, 20 ans, habitant en Belgique et originaire de la ville d’Aydin.

«Les Turcs réfléchissent dix fois avant de poster une critique contre le Président sur les réseaux sociaux. Je connais des Turcs d’Europe qui sont recherchés par la police en Turquie, qui ne peuvent plus visiter leur pays d’origine à cause de l’unique fait qu’ils ont critiqué Erdogan», ajoute-t-il.

Ainsi, le choix de Kubilay se portait sur Kemal Kiliçdaroglu, l’homme qui souhaitait rétablir la démocratie dans le pays. «Ce candidat a promis au peuple de pouvoir le critiquer librement s’il était au pouvoir. Il a aussi promis de rétablir la liberté de la presse», commentait-il, plein d'espoir.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités