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Retraite de Roger Federer : un mythe pour l'éternité ?

Roger Federer a annoncé mettre un terme à sa carrière à la fin du mois de septembre, provoquant une avalanche d'hommages à travers le monde. S'il n'est plus le détenteur de nombreux records de son sport, il reste le tennisman le plus adulé de l'histoire. Et au-delà de son palmarès, le Suisse a débordé au fil du temps et de ses exploits le simple cadre de sa discipline, comme rarement un champion avait pu le faire avant lui.

Un constat difficile à réfuter, et que viennent amplifier Charles Haroche, professeur de rhétorique à Sciences Po Paris, et Frédéric Vallois, lui aussi enseignant en communication à Sciences Po Paris, dans leur ouvrage «Federer, un mythe contemporain» (Solar éditions). Et si l'intitulé semble au premier abord démesuré, à la lecture de ses 200 pages, il faut bien admettre que le parcours du Bâlois force le respect et incite aux superlatifs, et que le parallèle avec les surhommes peuplant les mythes et légendes semble convenir au dieu du court. Désormais retraité du circuit ATP, l'athlète au sublime revers à une main et aux revenus les plus élevés au monde pour un sportif, est devenu au fil du temps un compétiteur, un ambassadeur, un chef d’entreprise, un philanthrope, et une icône, et est désormais rentré à jamais au panthéon de son sport. Il suffit de voir comment l'annonce de sa retraite a provoqué une vague de témoignages d'admiration ou d'hommages, dans les médias comme de la part du public du monde entier, pour s'en persuader, alors même que le Suisse n'avait plus remis les pieds sur un court depuis 14 mois.

Si on ne compte plus les replays de ses plus beaux échanges sur le Web, vus et revus, envoyés, postés des millions de fois sur les réseaux sociaux par tous ses fans, les publicités qui tournent en boucle au moindre tournoi diffusé – en Suisse, difficile de trouver une pancarte sans que son nom y figure – le livre, qui reprend le fil de sa vie depuis ses débuts, offre un regard original sur le tennisman. Une gageure, quand on sait, comme le notent les auteurs, que tous les genres littéraires se sont penchés sur son cas, de la pièce de théâtre, à la bande dessinée, la fiction, la biographie, en passant par le polar.

Le parcours vers la gloire

A grand renfort de citations, d'emprunts à la littérature, à l'art ou à la philosophie, et d'analyses des éléments constitutifs d'un mythe, les auteurs dressent ainsi le portrait de ce héros des temps modernes, reflet d'une époque où les fans se comptent en millions à travers la planète, et où le sponsoring - de préférence de luxe pour l'élégant ambassadeur - se décline sur tous les écrans du monde. Et alors que d'autres immenses champions dans leur sport auraient pu toucher à cette forme de reconnaissance universelle, l'ouvrage avance que Roger Federer «résout les paradoxes et sublime les antagonismes : icône locale et mondiale, tempérament de feu et de glace, réconciliation du corps et de l'esprit, talent inné et acquis, tennis classique et révolutionnaire, chroniqueur de l'instant et historien du temps long». De quoi séduire le plus grand nombre...

Les deux écrivains - qui, il faut le dire, déclarent honnêtement leur flamme à l'icône, autant que l'auteur de cet article - posent dans la foulée les trois fonctions du mythe - «conter, sacraliser, expliquer» - pour mieux les apposer à l'homme aux 20 titres du Grand Chelem : «Par ses prouesses techniques, par le récit qui s'est construit autour de lui, par l'immense communauté de fidèles qu'il rassemble, par la représentation idéalisée de l'humanité qu'il projette, Federer incarne la figure mythique par excellence». Puis de citer l'historien Joseph Campbell et son analyse des 12 étapes classiques du héros de l'Antiquité, entre ascension, chute, et rédemption. Les chapitres du livre, qui suivent la carrière du tennisman depuis ses premiers pas, viennent cautionner ce parcours idéal vers la gloire, à grand renfort de rappels des heures glorieuses du «Maitre», comme cette inoubliable finale de l'Open d'Australie 2017, lorsque, âgé de 35 ans, il bat en 5 sets l'autre revenant Rafael Nadal.

L’ouvrage permet ainsi, et ses fans ne s’en plaindront pas, d’inscrire dans un temps très long lorsqu’on parle d’une carrière de sportif de haut niveau le geste du Roi Roger, et permet de prendre conscience de l’épaisseur qu’a pu prendre le personnage au fil du temps. Car comme le rappellent Charles Haroche et Frédéric Vallois, les premiers temps de la légende ne furent pas aussi glorieux que la suite qui allait en découler. Et certains souvenirs et anecdotes feront à coup sûr replonger ceux dont la ferveur est finalement restée intacte, malgré les incertitudes récentes, de son premier triomphe face à son idole Sampras en 2001, au match du siècle en finale du tournoi londonien face à Nadal en 2008. Se pose ainsi immanquablement la question du GOAT («Greatest Of All Time», le fameux Plus grand joueur de tous les temps, NDLR) que les auteurs n'éludent pas, dans l'un des plus savoureux chapitres du livre, intitulé «Le Bon, la Brute et le Truand». 

L'épine Djokovic

Un passage dans lequel les deux auteurs - le pauvre Djokovic tient la place du Truand - ont sans doute dû puiser au fond d'eux même pour justifier la place à part que Roger Federer gardera dans les livres d'histoire du tennis. Car depuis quelques mois, Novak Djokovic a repris sa route en avant dans le rôle de briseur de record qui lui convient le mieux, devenant le joueur étant resté le plus longtemps à la place de N.1 mondial, et le dépassant d'une unité au nombre de titres du Grand Chelem. Le joueur serbe était même passé en septembre 2021 à un cheveu de signer le plus grand exploit de son sport, le Grand Chelem calendaire, en finale de l’US Open face à Daniil Medvedev. Rafael Nadal, son duelliste préféré durant quinze ans, continue de son côté de pousser un peu plus loin les limites de l'histoire du tennis, avec désormais 22 titres au compteur pour les Grands Chelems.

Pour Frédéric Vallois, «il y a en fait deux débats. Celui sur le plus grand joueur, et là Federer est indépassable, et celui sur le meilleur, une place que Djokovic est en train de prendre. C'est le plus jeune des trois monstres, et il a encore le temps de glaner quelques titres du Grand Chelem». Et si Nadal tient pour l'instant la tête de cette course aux Chelems, «l’icône Federer reste le plus bel ambassadeur de la petite balle jaune : la question de la grandeur ne se décide pas uniquement sur le terrain sportif. Federer était un touche-à-tout qui dépasse le cadre du tennis. Et il restera toujours le n°1 dans le coeur du public», avance l'auteur. Tandis qu'un Djokovic continue malgré ses faits d’armes à jouer contre deux adversaires – le joueur plus le public – Federer était de son côté ovationné à travers le monde, jusqu’à voler la vedette à Beyoncé ou Omar Sy lors du mariage d'Alexandre Arnault, le fils de Bernard Arnault, à Venise. 

Un «héritage sans héritier»

Lors de la sortie du livre, comme un voile que l'on pose sur une réalité qui semble inéluctable, il était impossible en tout cas selon le co-auteur d'imaginer que la présence de Federer ait eu lieu lors du dernier Wimbledon, et sa défaite en trois sets face au polonais Hurkacz. Il prédisait ainsi que le public pourrait le voir une dernière fois avant qu'il ne tire sa révérence. «Il reviendra sans doute sur gazon au printemps 2022, ou, au pire, lors de sa compétition, la Laver Cup, à Londres, l'année prochaine. Nadal lui a fait un appel du pied en ce sens, pourquoi pas à ses côtés en double ?»

Et au-delà de Federer, l'heure de la retraite devrait sonner dans les quelques années à venir pour les deux autres membres du trio magique. De quoi imaginer un immense vide après eux, même si la récente victoire d'Alcaraz à l'US Open, avec à la clé la place de plus jeune N.1 de l'histoire à l'ATP, à 19 ans, semble enfin avoir lancé une «Next Gen» qui jusque-là n'avait pas su briser le plafond de verre. «Il sera très difficile de trouver un héritier à Federer, qui a élevé le tennis au rang d'art, et ce n'est peut-être pas souhaitable. Mais le départ des trois monstres du début de ce siècle pose immanquablement la question de l'après. Il faudra peut-être innover, pas seulement de la part des joueurs - comment se saisir tout de suite de cet héritage si lourd ? - mais du tennis en lui-même, sur le format des matchs, un changement de règles. On sait que Federer a toujours été plutôt conservateur là-dessus, mais comment devenir attractif sans ces Trois Fantastiques ?»

Federer, un mythe contemporain, C.Haroche et F.Vallois, éditions SOLAR, 202 pages, 14,90 €.

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