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11-11 Memories Retold : quand un jeu vidéo tire les leçons de la Grande Guerre

Comment relater la «Der des Ders» sans tomber dans les clichés et rendre hommage à ceux qui y ont donné leur vie ?

Voici le postulat qui a guidé les créateurs de 11-11 Memories Retold, un jeu vidéo qui accompagne les commémorations du centenaire de l’armistice, disponible le 9 novembre sur consoles et PC.

Loin des traditionnels jeux de guerre qui ont mis en scène ce conflit majeur et meurtrier (près de 39 millions de morts) sous un angle spectaculaire, le studio montpelliérain Digixart a fait le choix de livrer une vision pacifiste, touchante et juste.

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On y incarne, tour à tour, un jeune photographe canadien et un ouvrier allemand, envoyés tous deux au front. De leurs témoignages poignants, 11-11 tire une œuvre d’art tout en retenue. A commencer par sa direction artistique encore jamais vue dans un jeu vidéo. Une véritable peinture vivante, inspirée du courant impressionniste, que les Français ont conçu avec le célèbre studio britannique Aardman Animations, devenu célèbre pour ses réalisations autour de Wallace et Gromit, Chicken Run, Pirates ou le récent Cro-Man.

«Notre collaboration a commencé en 2015 avec ce studio, raconte Yoan Fanise, directeur du jeu chez Digixart. J’avais déjà l’intention de créer un monde en 3D impressionniste, à la manière du film Loving Vincent, sur Van Gogh. Nous avons rencontré des représentants d’Aardman et eux aussi nous ont fait part de leur intention de travailler sur la création d’un jeu vidéo. Ils nous ont présenté l’un de leurs courts-métrages dans cet esprit. Et nous avons tout de suite décidé d’œuvrer ensemble sur le projet.»

L'aspect graphique est inspiré de l'huile sur verre pour véhiculer un large palette de sentiments.Yoan Fanise, directeur du jeu

A l’écran, le rendu final s’avère étonnant de beauté, avec des personnages et des décors en 3D que l’on imagine peints à la main. «Nous avons appelé cela le « Digital Impressionnism », toutefois nous nous sommes tout de même éloignés de ce courant pictural, notamment sur les couleurs. Il s’agit en réalité d’un aspect inspiré de l’huile sur verre, du court-métrage Le Vieil Homme et la Mer, précise-t-il. Cela permet de véhiculer une palette très large de sentiments, pour aborder notamment le trauma des soldats envoyés sur le front ».

Un gameplay pensé autour des sentiments

Un parti pris qui n’a d’ailleurs pas été sans conséquence sur le gameplay de ce titre, puisque celui-ci se veut plus narratif et contemplatif qu’un jeu traditionnel. « Le rendu graphique est moins détaillé et précis que celui d’un jeu réaliste, il aurait été par exemple trop compliqué d’interagir avec certains objets. A l’inverse, cela nous a permis de nous orienter davantage vers des éléments plus personnels qu’à l’accoutumé », commente Yoan Fanise.

En atteste, les séquences, où le joueur doit écrire ses lettres qu’il adresse à sa famille pour donner des nouvelles. Il est ici possible de choisir la fin de sa missive et de décider de mentir, afin de faire croire aux siens que l’on va bien pour les préserver. Un choix qui peut aussi avoir des conséquences, puisque 11-11 invitera à vivre plusieurs fins. Il est d’ailleurs possible de revenir sur chacun de ces moments décisifs, afin d’en changer les orientations et de voir comment celles-ci influencent les scénarios.

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Les lettres sont d’ailleurs très présentes, Yoan Fanise tenant à leur accorder une place importante. Les travaux préliminaires l’ont en effet amené à compulser de nombreuses archives, ainsi qu’à lire de nombreuses correspondances de l’époque, à la fois chez les Alliés, mais aussi du côté germanique, avec l’aide d’un historien et d’un écrivain allemands. « Si ce jeu est à regarder comme une fable sur la Première Guerre Mondiale, nous tenions à rester crédibles et ce travail fut important, confie Yoan Fanise. Curieusement, j’ai découvert que les Allemands parlent peu de ce conflit, qu’ils ont vécus comme une véritable humiliation et dont ils ont enfoui les souvenirs avec le temps. Mais les lettres que nous avons lu dans les deux camps sont très semblables, les uns croyant généralement que le moral était meilleur chez l’ennemi et réciproquement ».

Le choix d'un protagoniste canadien

Alors que l’on aurait pu imaginer incarner un Français, Digixart a préféré suivre le regard d’un jeune canadien sur le conflit, offrant par là-même une vision intéressante et singulière. «Nous avons tendance à l’oublier, mais le Canada a gagné son indépendance à la suite de ce conflit, puisqu’il a été reconnu comme tel par le Royaume-Uni en remerciement des services rendus, rappelle Yoan Fanise. J’ai donc choisi de présenter le jeune photographe canadien pour cette raison, mais aussi pour souligner le sacrifice que cela représente de partir aussi loin pour prendre part à un conflit dont les enjeux paraissent difficiles à comprendre ».

Au-delà de son aspect graphique et de son gameplay, un travail impressionnant a été mené sur les musiques, interprétées par un orchestre symphonique dans les célèbres studios londoniens d’Abbey Road. Et les partitions du compositeur français Olivier Derrivière font partie intégrante de cette histoire. «Je souhaitais que la musique, couplée aux chœurs, prennent autant part à la narration que ce que l’on montre ou ce qui est raconté. J’ai d’ailleurs partagé de nombreux poèmes d’Apollinaire (lui aussi envoyé sur le front) avec Olivier Derrivière, afin qu’il s’en inspire.»

Cet ensemble apporte une grande sensibilité à 11-11 Memories Retold, qui s’inscrit comme une œuvre profondément humaniste et qui prouve, à qui en douterait encore, que le jeu est à la croisée des arts et à toute légitimité pour transmettre la mémoire.

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