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A Moscou, 100.000 caméras surveillent les confinés

Une caméra de surveillance dans un passage souterrain, le 27 janvier 2020 à Moscou [Kirill KUDRYAVTSEV / AFP] Pas un couloir de métro, pas une rue n'échappe à la vidéosurveillance. [Kirill KUDRYAVTSEV / AFP]

A Moscou, la reconnaissance faciale est devenue un outil-clé de la stratégie anti-coronavirus, un test grandeur nature pour cette technologie controversée, ses détracteurs dénonçant de longue date le risque d'un usage à des fins politiques.

Depuis février, des milliers de Moscovites, en particulier ceux revenus de pays touchés par le Covid-19, sont soumis à un régime de confinement strict à domicile de 14 jours pour empêcher la maladie de se propager.

Tous sont catalogués avec leurs adresses, la copie de leurs passeports et leurs numéros de téléphone dans une base de données de cette mégalopole aux 16 millions d'habitants et visiteurs quotidiens.

Et chacun est informé qu'une infraction au régime d'isolement est passible d'amendes voire de prison et d'expulsion pour les ressortissants étrangers.

«Le respect de ce régime fait l'objet d'une surveillance permanente, notamment via le système de reconnaissance faciale», a mis en garde le maire de Moscou Sergueï Sobianine sur son blog.

La puissance du système repose sur un maillage très serré. Pas un couloir de métro, pas une rue n'échappe aujourd'hui aux 170.000 caméras déployées peu à peu depuis une décennie au nom de l'ordre public.

Quelque 100.000 d'entre elles sont reliées à l'intelligence artificielle capable d'identifier les personnes filmées et les 70.000 restantes doivent suivre sous peu.

Reconnaissance faciale pour entrer dans le métro de Moscou, le 27 janvier 2020 [Kirill KUDRYAVTSEV / AFP]
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Reconnaissance faciale pour entrer dans le métro de Moscou, le 27 janvier 2020

 

La police de Moscou a dit avoir identifié depuis février près de 200 personnes ayant enfreint leur quarantaine, grâce à cette surveillance.

La Russie a aussi lancé d'autres technologies au service de la lutte contre le coronavirus, allant de la télémédecine à la surveillance des étalages de supermarchés et des réseaux sociaux pour contrer les rumeurs et «fausses informations».

Le président Vladimir Poutine a lui-même visité mardi le nouveau centre de vigilance face à l'épidémie de coronavirus en Russie.

Données personnelles collectées

Selon M. Sobianine, ce pôle dispose des coordonnées et lieux de travail de 95% des personnes ayant voyagé dans les pays les plus touchés par la pandémie. «Nous avons identifié où ils sont», s'est-il félicité.

Dès février, le maire vantait l'efficacité redoutable de ce contrôle en prenant l'exemple d'une Chinoise sortie indûment de sa quarantaine, d'une amie lui ayant rendu visite et du chauffeur de taxi de cette dernière. Les autorités ont collecté au passage les données personnelles des 600 voisins des deux jeunes femmes.

Selon le maire, les caméras sont aussi utilisées pour surveiller l'approvisionnement des étals des supermarchés, afin d'éviter les pénuries alors que de nombreux Moscovites, inquiets face à l'épidémie, se sont précipités cette semaine pour faire des stocks.

Cette vidéo-surveillance renforcée par la reconnaissance faciale avait été testée pour la première fois durant l'été 2018 lors de la Coupe du monde de football, avant d'être généralisée en janvier 2020. Juste avant l'épidémie.

Un employé de la société russe NtechLab fait une démonstration de la reconnaissance faciale, le 5 février 2020 à Moscou [Kirill KUDRYAVTSEV / AFP]
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Un employé de la société russe NtechLab fait une démonstration de la reconnaissance faciale, le 5 février 2020 à Moscou

 

«La probabilité d'une erreur de notre algorithme dans la reconnaissance des visages est de 1 sur 15 millions», expliquait en début d'année à l'AFP Alexandre Minine, directeur général de la société russe NtechLab qui a gagné l'appel d'offre de la mairie de Moscou.

Son dispositif, qui est aussi exporté en Chine, premier marché mondial, et en Amérique latine, est même capable d'identifier les personnes par leur seule silhouette dans «80% des cas».

Les technologies de surveillance russes et chinoises, les plus sophistiquées au monde, sont déjà exportées dans une centaine de pays, relève Valentin Weber, un expert de la cybersécurité à l'Université de Oxford, dans une étude publiée fin 2019.

«En raison des lois plus strictes sur la protection des données personnelles, en Europe la reconnaissance faciale n'a pas été déployée à grande échelle. Les groupes russes et chinois avaient moins de restrictions juridiques pour collecter et utiliser les données personnelles que leurs collègues européens», explique M. Weber.

Avant la crise du coronavirus, experts et opposants ont ainsi mis en garde contre ce «Big Brother» et le risque que sous couvert d'une mission d'intérêt général, il soit aussi utilisé pour surveiller les adversaires politiques et restreindre les libertés publiques.

«C'est l'argument sécuritaire qui vient toujours justifier une perte de vie privée et de liberté personnelle. C'est là où est le plus grand problème et le plus grand danger», souligne le chercheur français en cybersécurité Baptiste Robert.

Alexandre Minine dit faire confiance aux autorités et affirme que les images les «informations sur les personnes (passeport, nom et prénom, numéro de téléphone) ne sont pas conservées dans les mêmes bases de données».

Selon lui, ces données ne sont croisées qu'en cas de nécessité, en conformité avec une procédure stricte confiée aux forces de l'ordre.

Darya Kozlova, une activiste grimée pour protester contre la reconnaissance faciale à  Moscou, le 16 février 2020 [Yuri KADOBNOV / AFP]
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Darya Kozlova, une activiste grimée pour protester contre la reconnaissance faciale à Moscou, le 16 février 2020

 

Du côté des détracteurs du système, on se montre autrement plus méfiant. D'autant que la surveillance à des fins politiques n'est pas chose nouvelle pour bien des Russes : à l'époque soviétique, le KGB avait la réputation d'avoir des yeux et des oreilles partout.

Aliona Popova, juriste et activiste, a déposé une plainte pour dénoncer le recours à Moscou du système de reconnaissance faciale à l'occasion, le 29 septembre, d'une manifestation d'opposition autorisée par les pouvoirs publics.

Selon elle, des caméras avaient été fixées aux portiques détecteurs de métaux par lesquels chaque manifestant était obligé de passer pour rejoindre la zone de rassemblement.

«L'utilisation massive des technologies de reconnaissance faciale, c'est de la surveillance de l'État visant ses citoyens. Et c'est certain que l’État va l'utiliser contre les opposants politiques», a-t-elle estimé, interrogée par l'AFP.

Sa plainte a finalement été rejetée, mais sa pétition contre la reconnaissance faciale sur le site change.org avait recueilli près de 75.000 signatures avant la crise du Covid-19.

La mairie dément tout usage machiavélique à des fins de fichage des opposants.

Du maquillage géométrique pour contrer la technologie

En février, un groupe d'activistes artistiques a tenté de sensibiliser sur le sujet avec une nouvelle forme de protestation.

Inspirés par une action du «Dazzle Club» à Londres où la reconnaissance faciale a été lancée en début d'année dans des espaces géographiques précis, quatre militants se sont peint des formes géométriques sur le visage devant l'administration présidentielle russe, un maquillage censé les rendre non identifiables par les caméras.

«Il y a déjà eu des cas d'activistes politiques interpellés dans le métro, identifiés à l'aide des caméras», accusait alors la peintre Katrin Nenacheva.

Les quatre activistes ont été interpellés lors de leur action, puis jugés et condamnés à des amendes de 15.000 roubles (173 euros) pour infractions à la règlementation des manifestations.

Le directeur général de la société NtechLab relève la futilité de ce mode de protestation. «Nous pouvons travailler même lorsque 40% du visage est recouvert par une casquette ou un masque médical», explique-t-il.

S'évader de sa quarantaine le visage couvert ne protège pas de l'oeil de Moscou.

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