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La semaine de Philippe Labro : le silence de Bob, la voix de Dylan

Le chanteur a obtenu le prix Nobel de littérature 2016. [FRANK LEONHARDT / DPA / AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

Jeudi 20 octobre

A ce jour, il n’a pas réagi. Aucun signe, aucune réponse aux nombreux appels et courriels. Le chanteur-compositeur-parolier-poète-écrivain Bob Dylan, choi­si jeudi dernier pour le prix Nobel de littérature (ce qui a provoqué les plus féroces critiques et les plus enthousiastes bravos) n’a pas réagi. A l’heure où cette chronique paraît, il aura peut-être fait connaître son sentiment, donc je ne m’avancerai pas trop sur les raisons de ce silence. Je l’imagine mal refuser cette distinction. Après tout, il a déjà reçu toutes sortes de médailles, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France – chevalier des Arts et Lettres, puis de la Légion d’honneur –, ce qui choqua bon nombre de gens – mais il les accepta. Il chante de ville en ville, en ce moment, à travers les Etats-Unis. Les Suédois se disent sereins : «Il viendra à Stockholm, il finira par nous répondre.»

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Les fans ont entrepris de réécouter tous ses textes, et les plus littéraires d’entre eux ont lu ou relu ses Chroniques - volume 1 – parues chez Fayard en 2005 –, un passionnant récit de ses débuts dans la chanson, un vrai livre, mais qui, évidemment, n’arrive pas à la hauteur des grands romanciers américains oubliés Philip Roth, Cormac McCarthy et d’autres, du monde entier, encore plus injustement négligés, en tête desquels il faut placer le très grand Milan Kundera. Fallait-il vraiment lui décerner ce prix ? Si l’on mesure l’influence qu’auront eue, sur plus de cinquante ans, les écrits de Dylan, si l’on admet qu’il possède une surprenante veine de lyrisme, d’invention, d’intuition des courants de l’époque (les années 1960, le Vietnam), une faculté d’exprimer en quelques chants des vérités universelles («La réponse, mon ami, est dans le vent»), et qu’à sa manière, il incarne la culture rock et symbolise un art américain, alors, oui, pourquoi pas.

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Dans leur subtile politique de distribution, il semblait que les Nobel devaient, cette année, distinguer un Américain. Ils auraient dû aller chercher Philip Roth, mais ça n’a pas fait l’unanimité. C’est une énorme erreur. Alors, ils ont préféré trouver une figure mondialement connue, aimée, écoutée, et se sont offert une belle communication sur leur modernité, leur audace, leur capacité de se renouveler. Pourquoi ce silence ? Parce que Dylan se veut «libre». N’oublions pas que son album historique de 1963 s’intitule The Freewheelin’ Bob Dylan, ce qu’il faut traduire par «Bob Dylan en roue libre».

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Il a constamment affiché son indépendance, son refus de devenir le porte- parole des rébellions étudiantes, et c’est d’ailleurs au moment où ses textes étaient utilisés à des fins politiques qu’il décida de s’en détacher. Lorsque l’on m’interroge sur Dylan, j’ai tendance à faire une double réponse. Si je prétends être un romancier, si j’ai consacré une partie de mon énergie à écrire plus d’une vingtaine de livres, je comprends l’indignation des écrivains plus assis et consacrés que moi. Mais je dois me souvenir de ma propre jeunesse, mes découvertes musicales et l’évidence qui m’a saisi la première fois que je vis et entendis, à New York, ce jeune homme aux cheveux bouclés qui ne souriait jamais. Disons que ce Nobel ne me déplaît pas. Paradoxe des paradoxes, je dois avouer que l’une de ses chansons, qui se promène dans ma tête depuis 1970, et qui me rappelle mes étés d’aventure sur les routes de l’Ouest, s’appelle Wigwam et ne possède aucune parole. Simplement, Dylan, soutenu par un fabuleux orchestre, chante à tue-tête pendant 3 minutes et 8 secondes, «lalala-lala-lala». C’est merveilleux de liberté et d’insouciance. Et vous donnez le Nobel à ça ? La réponse est dans le vent, mon ami, «it’s blowing in the wind».

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