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Très critique, la Fondation Abbé Pierre veut mettre le mal-logement à l'épreuve des municipales

La Fondation Abbé Pierre dénonce un décalage entre les paroles et les actes quant à la politique menée par la majorité. [Photo d'illustration / MICHEL EULER / POOL AFP].

Alors que le scrutin de mars prochain approche à grand pas, la Fondation Abbé Pierre consacre, dans son 25e rapport à paraître vendredi 31 janvier, un focus particulier sur la question du mal-logement dans la perspective des élections municipales. L'occasion, au passage, de dresser à mi-mandat un bilan de la politique gouvernementale en la matière, laquelle serait, selon la Fondation, pétrie de contradictions et sans moyen d'atteindre ses ambitions.

Pour la Fondation Abbé Pierre, il est d'abord d'autant plus urgent de mettre la question du logement au centre du débat politique, que, depuis un an, «les alertes en la matière résonnent plus que jamais», explique Christophe Robert, son délégué général.

Tous les indicateurs du logement et d'hébergement en rouge

En conférence de presse, jeudi 23 janvier, le responsable associatif a appuyé ses dires en décrivant la situation des enfants qui naissent dans des familles sans domicile et qui, malgré les places ouvertes cet hiver, se voient refuser un hébergement. Ils seraient, selon lui, au moins 200 rien qu'à Paris.

L'année 2019, a-t-il souligné, s'est également accompagnée de sombres records sur le front du logement avec, entre autres, 50.000 nuitées hôtelières d'urgences financées chaque nuit par l'Etat, en hausse de + 7 % sur un an, malgré les différents plans de résorption menés jusqu'à présent.

La Fondation signale également que jamais en France il n'y a eu autant de ménages en attente d'un logement social. Ils étaient 2,1 millions en 2018, soit une hausse de + 2%.

Dans le même temps, les expulsions (uniquement celles effectuées avec le concours de la force publique) ont atteint des sommets, pour s'établir à 15.900 (2018, + 3 %). 

Le prix de l'immobilier à Paris a, lui aussi, poursuivi son ascension pour dépasser 10.000 euros en moyenne le mètre carré. Du jamais vu.

De leur côté, les récents chiffres de l’Insee (provisoires, ndlr) ont, eux, montré une augmentation du taux de pauvreté enregistré en 2018 (+0,6 %) pour concerner, au total, 14,7 % de la population.

«Des indicateurs au rouge qui prouvent que la France est très gravement atteinte par la crise du Logement, alors que le pays n'a jamais été aussi riche», résume Christophe Robert.

Les mesures récentes ont creusé les inégalités, selon la Fondation

Pour le responsable, cette situation, devenue aujourd'hui très préoccupante, s'est également accentuée compte tenu des mesures récentes prises sur le front économique et social au cours des deux ans et demi passés, lesquelles ont contribué à creuser les inégalités et les phénomènes de pauvreté.

S’appuyant sur les chiffres de l’Insee, de 2018 à aujourd’hui, Christophe Robert affirme ainsi qu'à eux seuls, «10 % des ménages les plus aisés ont capté plus du tiers des gains liés aux décisions gouvernementales en matière de budget» (suppression de l’ISF, mise en place du prélèvement forfaitaire unique, entre autres, ndlr).

Les mesures prises en réaction à la crise des gilets jaunes, sur l'impôt sur le revenu, la défiscalisation des heures supplémentaires, ou l'élargissement du chèque énergie, ont certes permis un rééquilibrage «mais uniquement pour une partie de la population», souligne-t-il.

«Environ 10 % des ménages les plus pauvres ont pu dégager 33 euros de gains annuels en moyenne en 2019, mais seulement 11 euros chez les 5 % des plus pauvres, alors que, concernant les 1 % des ménages les plus riches, ce gain peut atteindre 23.000 euros», indique Christophe Robert, qui, pour résumer, ajoute que «le pouvoir d’achat des plus pauvres stagne mais que celui des plus riches grimpe.»

quelques avancées mais peu nombreuses et pas assez ambitieuses

Si, pour la Fondation Abbé Pierre, ces choix politiques se répercutent immanquablement sur le logement, elle reconnaît toutefois que des choses intéressantes ont été faites en la matière par la majorité actuelle, même si elle déplore un certain décalage entre les paroles et les actes.

Le plan quinquennal «Pour le logement d'abord», axé plus particulièrement sur la lutte contre le sans-abrisme, devrait notamment être doté de 60 millions d'euros supplémentaires.

La Fondation signale aussi que le budget alloué à la résorption des bidonvilles est en hausse signifactive, puisqu'il a doublé, passant de 4 à 8 millions d'euros.

Pour autant, la Fondation Abbé Pierre souligne que résorber durablement un bidonville passe avant tout par le relogement de ses occupants, plutôt que par des expulsions.

Cette question constitue d'ailleurs l'un des chapitres de son dernier rapport, qui cite à cet égard plusieurs initiatives locales qui ont fonctionné en la matière, comme à Brie-Comte-Robert, en région parisienne, ou à Toulouse.

La Fondation insiste également sur la nécessité de construire davantage de logements très sociaux, soit ceux destinés en priorité aux personnes cumulant des ressources faibles et des difficultés sociales.

Selon les chiffres communiqués par Christophe Robert, 33.000 logements de ce type ont ainsi été fournis en 2018, lorsque 34.000 devraient l'être au titre de l'année 2019. Bien en-deçà des besoins selon les associations.

De même, un autre axe mêlant logement et insertion sociale, serait d'augmenter les attributions directes de logements à des personnes en voie de réinsertion et sortant des structures d'hébergement d'urgence (12.000 attributions de ce genre en 2017, 14.000 en 2018, soit loin de l'objectif des 17.000 attributions annuelles).

Des insuffisances persistantes, des économies dénoncées

Enfin, la Fondation dit constater de grosses insuffisances persistantes concernant les personnes qui, alors qu'elles relèvent de l'Etat ou du département, peuvent se retrouver du jour au lendemain sans solution d'hébergement, comme les jeunes sortant de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) sans soutien, ou celles en fin de peine carcérale ou hospitalisées en psychiatrie par exemple. 

Sur ce sujet, comme sur plusieurs autres, le rapport de la Fondation dénonce «un décalage entre les objectifs ambitieux fixés au niveau national et les moyens alloués, souvent en-dessous des besoins et des spécificités locales, soulevées par les acteurs locaux».

Elle appelle notamment à revoir la loi SRU, Solidarité et Renouvellement Urbain, qui, en vigueur depuis 2000, impose aux communes 25 % de logements sociaux. Selon la Fondation Abbé Pierre, 45 % des communes n’ont pas atteint leurs objectifs lorsque 283 n’ont même pas atteint la moitié du plan qu'elles s'étaient fixé. «Là aussi il faut faire beaucoup plus, peut-être en se substituant aux communes», plaide Christophe Robert.

Autre pique lancée, cette fois spécialement à la majorité, la baisse forfaitaire de 5 euros par mois et par ménage opérée sur les APL en 2018 alors que leur revalorisation n'a été que de 0,3 % en 2019, qui permet, selon la Fondation, d'économiser «sur les plus pauvres» quelque 400 millions d'euros annuels dans le budget de l'Etat.

En conclusion, Christophe Robert estime «que si on ne peut pas dire que rien n’a été fait par le gouvernement en matière de logement, celui-ci n’arrive pas à atteindre les ambitions qu’il s’était lui-même fixées et perçoit surtout le sujet comme une façon de faire des économies».

Or, le spécialiste est convaincu «qu’il n’y aura pas de réponse aux situations de mal-logement, sans rehausser significativement les politiques du logement».

La Fondation Abbé Pierre entend maintenant s'appuyer sur le contexte électoral, avec les municipales de mars prochain mais aussi dans la perspective de la présidentielle 2022, pour interpeller les politiques sur tous les sujets en lien avec la précarité, l'hébergement et le logement.

A l'occasion de la présentation officielle de son dernier rapport, elle organise d'ailleurs, vendredi 31 janvier à la grande arche de la Défense, près de Paris, un premier débat dédié avec tous les candidats à la mairie de Paris.

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