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David Fritz Goeppinger, rescapé du Bataclan : «Le retour dans la communauté des vivants est extrêmement difficile»

Dans son livre Un jour dans notre vie, David Fritz Goeppinger raconte comment il s'est engagé sur le chemin de la reconstruction après avoir été victime de l'attentat du 13 novembre 2015, au Bataclan.[©Doris Poe]

Quand il se raconte, David Fritz Goeppinger craint souvent que les clés de sa reconstruction paraissent «débiles», «bêtes» ou même «dingues». Pourtant, rien ne pourrait l'être, sachant ce qu'il a vécu. Le soir du 13 novembre 2015, ce jeune homme aux longs cheveux bruns était au Bataclan. Il a senti l'odeur de la poudre, celle du sang. Il a entendu le claquement sec des kalachnikovs. Il a été l'otage des terroristes.

Cinq ans après, ce n'est pas exactement ce qu'il raconte dans son livre. En tout cas pas seulement. Paru le 14 octobre dernier aux éditions Pygmalion, Un jour dans notre vie va au-delà de l'horreur et de la souffrance. C'est l'histoire d'une renaissance.

Cinq ans après l'attentat, comment allez-vous ? Peut-on parler de rétablissement ?

Je dirais que c'est fluctuant mais aujourd'hui ça va. Je pense que le surgissement de l'attaque de Vienne, il y a une dizaine de jours, est un bon exemple. L'arrivée d'un attentat dans une vie c'est tellement inattendu et tellement de souffrance que lorsqu'il y en a d'autres après, on est comme propulsé dans ce qui nous est arrivé. A Vienne il y a eu des images similaires à ce qu'on a vu après le 13 novembre, ça réveille forcément des souvenirs pas faciles, mais j'arrive à cloisonner. Je sais que ce que j'ai vécu c'était il y a cinq ans, au Bataclan.

Aujourd'hui j'ai surtout une pensée pour les victimes qui ont été touchées dans leur chair, qui ont vu ces méfaits et ressenti la sidération et la panique d'un attentat. Je me dis que ces gens-là ne sont qu'à l'orée de leur reconstruction. Entre guillemets, leur 13 novembre ne fait que commencer et c'est ce qui me fait le plus mal.

Au tout début de votre propre reconstruction, juste après l'attentat, avez-vous eu le sentiment d'être suffisamment accompagné ?

Personnellement j'ai eu la chance de tomber sur une thérapeute du tonnerre. Elle a tout de suite compris la gravité de ce qui m'était arrivé et surtout la gravité de ce qui m'était arrivé dans ma vie à moi. Parce qu'on est tous différents et on a tous un traumatisme différent. C'est le propre du trauma : il se greffe sur notre personnalité, sur notre façon de voir le monde.

En dehors de ça, j'ai remarqué que beaucoup de gens pensent qu'il y a un accompagnement gouvernemental des victimes. Ca n'a pas été le cas. Le Fonds de garantie apporte une réparation monétaire au préjudice, comme le ferait une compagnie d'assurance et la Cpam (Caisse primaire d'assurance maladie, ndlr) prend en charge les frais médicaux. Mais c'est tout.

Pour vous donner un exemple, le soir du 13 novembre, mon ami Stéphane, que j'ai rencontré pendant la prise d'otages au Bataclan, est rentré chez lui seul, en métro, après avoir fait sa déposition au 36 quai des orfèvres. Avec une couverture de survie sur le dos. Ca montre bien cette façon, à l'époque, de lâcher les gens dans la nature. Aujourd'hui je pense qu'il y a des améliorations, grâce aux travail des associations d'aide aux victimes du terrorisme comme Life for Paris.

Dans votre livre, vous évoquez souvent les odeurs et les sons de cette nuit-là, qui vous ont pousuivi : c'est ce qui vous est le plus resté de l'attentat ?

Davantage les sons que les odeurs. Les deux semaines qui ont suivi le 13 novembre, j'avais parfois comme des hallucinations olfactives. C'était extrêmement difficile à vivre mais ça a cessé ensuite. Les sons, en revanche, ça a duré longtemps. A la fin, ils revenaient presque exclusivement dans les cauchemars. Il m'arrivait de ne plus du tout rêver du Bataclan puis de réentendre d'un coup le bruit des tirs. Et finalement les tirs ont été effacés aussi pour ne laisser que la souffrance des spectateurs.

La personne qu'on était avant n'existera plus jamais après l'attentat

Aujourd'hui ça va mieux de ce côté-là. J'aurais tendance à dire que les traces rémanentes du traumatisme sont davantage ancrées dans ma vie que dans mon appareil psychologique. L'attentat a laissé une cicatrice assez profonde sur ma construction professionnelle, par exemple.

Sur mon CV j'ai un trou de deux ans et demi voire trois ans qui est difficile à justifier. Je suis photographe mais je fais ça uniquement parce que je sais le faire, je n'éprouve quasi aucune satisfaction. J'aimerais trouver un métier qui me passionne et qui me permette de me développer personnellement, d'aller plus loin.

Vous expliquez que le traumatisme a troublé votre rapport à certains piliers de votre existence d'avant l'attentat, comme la musique ou les jeux vidéo. De quelle manière ?

Aujourd'hui quand je mets un pied dans une salle de concert, je me rappelle instantanément de mon premier pied dans le Bataclan, le 13 novembre. J'ai compris que mon rapport à la musique ne pourra jamais redevenir celui d'avant. C'est le grand paradoxe derrière tout ça : la personne qu'on était avant n'existera plus jamais après l'attentat. Cependant, on ne serait pas la personne d'après l'attentat si celle d'avant n'avait pas existé.

Maintenant, quand je vais à un concert, il m'arrive de prendre du plaisir. Mais pas toujours. Je me laisse à chaque fois la possibilité de m'en aller, si j'en ressens le besoin. J'accepte de me laisser le temps, ce que je ne pouvais pas accepter les premières semaines après l'attentat. J'avais tout de suite envie d'aller bien, d'aller voir des concerts. Mais ce n'était pas possible.

Quand j'ai pu refaire ces choses que j'aimais, j'ai su que je commençais à aller mieux. Côté jeux vidéo, celui qui m'a le plus aidé, c'était World of Warcraft. Ca fait 16 ans que j'y joue ! Ca m'a permis de reprendre le contrôle d'une vie virtuelle pour ensuite faire de même dans la vie réelle. Ca peut paraitre dingue, mais ça m'a vraiment aidé.

Est-ce que la relation à vos proches à également été transformée à la suite du 13 novembre 2015 ?

Il y a en quelque sorte eu deux temps. D'abord, juste après l'attentat, il y a une communication compliquée qui se met en place, aussi bien avec mes parents, mes amis que ma petite copine de l'époque. Les gens ont envie de vous parler, de vous rassurer mais ils n'y arrivent pas. Ils ne savent pas trop ce qu'ils peuvent dire ou non, ils n'osent pas.

Tout le monde a plus ou moins été touché par l'événement et est un peu sidéré. C'est une sorte d'aveu de faiblesse des proches : on m'a dit «je n'ai pas su». Dans un deuxième temps, il y a un mutisme général qui s'installe. Ca transforme le dialogue et ça fait le tri, aussi. Il y a des gens dont je n'ai plus du tout de nouvelles.

A l'époque je me sentais complètement en décalage, à côté de mes pompes. C'est ce qu'on appelle le syndrome de Lazare, qui touche ceux qui se sont vus mourir. Nous nous sommes crus morts et nos proches nous ont crus morts aussi. Le retour dans la communauté des vivants est extrêmement difficile pour les victimes, il y a une résurgence de la vie qui est assez violente. C'est difficile à expliquer mais ça continue aujourd'hui, de manière plus fugace.

Parallèlement vous vous êtes créé un nouveau groupe d'amis, composé de rescapés du Bataclan, que vous appelez «les bros». Ils ont joué un rôle important dans votre reconstruction ?

Alors, aujourd'hui ils s'appellent «les potages», je tiens à le dire. Ca a été «les bros» pendant longtemps et moi j'étais très content de ce nom, mais c'est devenu «les potages», pour potes-otages. Ce n'est pas de moi. Mais, oui, ils ont été très importants. Après l'attentat, ce besoin de rencontre est né assez vite chez moi.

Ca a commencé avec Stéphane, qui était à côté de moi lorsque les terroristes nous ont demandé de nous poster à la fenêtre, pour surveiller la rue. La relation qui s'est installée avec lui a tout de suite été fraternelle et, à l'inverse des proches qui n'arrivaient pas à communiquer avec moi, c'était facile avec lui. On sait tous les deux de quoi on parle et on peut en discuter sans risquer de se choquer mutuellement.

Je me suis rendu compte qu'on pouvait continuer à exister

Après Stéphane il y a eu Sébastien, Caroline, Grégory, Marie, Arnaud et Victor. Au départ on voulait surtout recréer cette soirée, savoir qui avait vu quoi pour essayer de comprendre, de trouver du sens. Mais ensuite le plus important a été de créer de nouveaux souvenirs, de créer une communauté, non plus de victimes mais d'amis, beaucoup plus forte que ce qu'on a vécu ce soir-là. Ils m'ont permis de me rendre compte qu'on pouvait continuer à exister, à faire la fête, à s'amuser. Comme n'importe qui.

Ca peut paraître débile mais faire la connaissance des gens de la BRI (la Brigade de recherche et d'intervention, qui a donné l'assaut au sein du Bataclan, le soir du 13 novembre 2015, ndlr) a été important aussi. Je suis quelqu'un de très humain et j'ai besoin de rencontrer des gens pour rendre tangibles les choses.

Le procès des attentats du 13 novembre 2015 doit s'ouvrir en 2021, qu'en attendez-vous ?

C'est un peu abstrait, je n'y ai pas vraiment réfléchi. Là, comme ça, je dirai que je n'attends rien de spécial à part que j'aurai la satisfaction de me dire que je me tiens debout face aux gens qui ont fait ça ou qui ont participer, les facilitateurs comme on les appelle. Il y a des chances que je témoigne, ça ne me fait pas peur. Je me dis que j'ai de la chance d'être là et de pouvoir parler. Ceux que j'ai vu décédés au Bataclan, eux, n'auront personne pour le faire à leur place.

J'ai longtemps eu du mal à me considérer comme une victime parce que je n'avais pas de trace sur mon corps. Pas de blessure physique grave. Je me disais : ces gens qui sont morts dans la fosse, est ce que ce ne seraient pas eux les victimes ? Aujourd'hui je sais que j'en suis une aussi et ça m'a motivé à me faire tatouer la date de l'attentat. Ca peut paraitre très adolescent, voire enfantin, mais je l'ai fait pour que mon traumatisme existe.

Je pense que le jour où le procès sera clos, une page sera tournée, celle du David victime de terrorisme. En tout cas, la justice ne me considérera plus comme telle. De la même manière qu'il y a eu un avant et un après 13 novembre, je pense qu'il y aura un avant et un après procès. C'est un horizon qui s'ouvre sur beaucoup de possibilités et, il faut le dire, sur beaucoup de souffrance. Je m'attends à voir des cicatrices se rouvrir, ce qui est normal. Mais peut être que ce sera pour mieux les refermer derrière.

Vous écrivez : «S'il faut savoir se souvenir, ne jamais oublier ce que nous avons perdu ce jour-là, il faut aussi reconnaître ce que nous avons gagné depuis». Est-ce que de bonnes choses ont aussi découlées du 13 novembre ?

Un jour une proche m'a dit un truc qui à l'époque m'a mis en colère mais me fait réfléchir aujourd'hui. Elle a dit : "Est-ce que, finalement, le 13 novembre ne serait pas le plus beau jour de votre vie ?" La question est évidemment bien plus contrastée que ça, mais je dois reconnaître qu'il s'est passé des choses extraordinaires.

Cette relation avec les ex-otages, la rencontre avec François Hollande, qui nous a accueilli dans son cabinet comme s'il nous accueillait dans sa maison de campagne. Ca peut paraître con mais on a partagé un repas, il était là pour nous et c'était très humain. En mars dernier, j'ai aussi été invité par l'ambassadeur de France aux Etats-Unis, à Washington.

Il ne faut pas tomber dans l'injonction à la résilience

Et puis il y a eu mon mariage avec Doris. Ca a été une revanche, mais surtout une manière de dire : il y a eu un événement terrible le 13 novembre 2015, mais il y a un événement extraordinaire le 23 juin 2018. Si on fait attention, le livre démarre sur le 13 novembre et s'arrête sur le 23 juin, avec deux dates qui se confrontent et une espèce d'ode à la vie, même si ça peut paraître naïf.

Tout ça a participé au fait que je me rende compte que cette soirée-là n'était qu'un seul jour dans ma vie. Chaque 13 novembre j'en profite pour faire un bilan et c'est celui de cette année : ce qui peut ressortir de positif d'un événement terrible comme celui-là. Mais ce n'est pas forcément commun à toutes les victimes d'attentat. Il ne faut pas tomber dans l'injonction à la résilience. Moi j'ai de la chance mais on est tous différents et aujourd'hui il y a aussi des gens qui ne vont pas bien du tout ou moyennement bien. Je ne suis qu'une victime parmi beaucoup d'autres.

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