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Benjamin Millepied : «Longtemps immigré aux Etats-Unis, je me suis toujours senti privilégié», confie le chorégraphe et réalisateur de «Carmen»

Après des années passées aux Etats-Unis, l'artiste de 46 ans est revenu vivre en France. [© Jerod Harris / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP]

Danseur, chorégraphe et ancien directeur de la danse de l'Opéra de Paris, Benjamin Millepied revient ce mercredi avec «Carmen», son premier film en tant que réalisateur. Pour CNEWS, ce touche-à-tout infatigable évoque cette expérience et ses nouveaux projets.

Après près de trente ans passés aux Etats-Unis, entre New York et Los Angeles, Benjamin Millepied a posé ses valises en France il y a quelques mois, «très heureux» de retrouver ses racines. Un retour marqué également par la concrétisation de nombreux projets, à commencer par «Carmen», son adaptation très libre et moderne de l'opéra de Georges Bizet, qui sort ce mercredi 14 juin au cinéma.

Après avoir participé, entre autres, à la conception des ballets de «Black Swan» (2011), film de Darren Aronofsky sur lequel il a rencontré sa femme, l'actrice Natalie Portman, l'ex-danseur du New York City Ballet et chorégraphe signe un drame musical ambitieux et prometteur. On y suit une Mexicaine, libre et fougueuse, qui fuit son pays pour la Californie, grâce à l'aide d'un ancien marine. A jamais liés par une nuit tragique, ces fugitifs vont trouver refuge dans un club de la Cité des Anges avec pour seul destin, l'amour ou la mort. 

Pour votre premier film en tant que réalisateur, vous signez une adaptation moderne du mythe de Carmen, inspiré de la nouvelle de Prosper Mérimée et de l’opéra de Georges Bizet. Pourquoi avez-vous choisi cette héroïne ?

J’ai commencé, à l’instinct, à réaliser des courts-métrages de danse dès 2001. Je choisis toujours des partitions qui me touchent, quasiment de manière viscérale. J’aimais ce personnage qui est sauvée par la danse. Une femme éprise de liberté, qui conserve une force intérieure malgré la violence de l’environnement dans lequel elle évolue.

Cette Carmen est plus humaine. Elle peut enfin aimer et être aimée.

Je me suis approprié ce mythe qui a marqué mon enfance, en choisissant de me débarrasser de tous les clichés et des stéréotypes qui entourent cette histoire. Je voulais rendre cette Carmen plus humaine. Cette femme peut enfin aimer et être aimée. Pour moi, le cinéma est un prolongement de la danse. Et étant passionné de photographie depuis de nombreuses années, j'aime travailler sur l'image et le cadre. C’est aussi une manière pour moi de poser un regard sur le monde qui m’entoure.  

Dans cette version contemporaine, vous transposez l’histoire au Mexique, puis en Californie, et mettez en scène une migrante et un soldat américain victime de stress post-traumatique. Est-ce une volonté de politiser ce récit ?

L’aspect politique m'anime, et est omniprésent dans mon travail. Comme l’héroïne de mon film, je fus longtemps un immigré aux Etats-Unis (il a vécu seize ans à New York et dix ans à Los Angeles, ndlr). Mais je me suis toujours senti extrêmement privilégié. J’ai eu la chance d’être très bien accueilli et d’avoir de belles opportunités. Quand on évolue dans un milieu élitiste comme l’est le New York City Ballet, on a accès au succès et à une richesse culturelle. En revenant à Paris, j’ai compris que Carmen ne pouvait pas s'adresser qu'à une seule partie de la société, et devait aborder des problématiques actuelles. L’art multiplie les formes d’expression, permet de donner de la visibilité et la parole à ceux qui sont parfois dans l’ombre, et l’occasion de s’observer les uns les autres.

Pour incarner les deux héros de ce drame, vous avez choisi Melissa Barrera, star des derniers volets de la saga «Scream», et Paul Mescal, nommé cette année aux Oscars pour son rôle dans «Aftersun». Etait-il obligatoire qu’ils sachent tous les deux danser ?

C’était primordial pour Melissa. Elle ne pouvait pas interpréter un personnage mythique comme Carmen sans avoir une maîtrise de la danse. Elle a une grâce innée et une présence indéniable à l’écran. Pour Paul, c’était différent. Je voulais quelqu’un qui ait un rapport physique à la vie, un rapport brut au geste. Je n’envisageais pas un marine qui danse de manière lyrique. Cela devait être réaliste.

Et rêvez-vous d'autres longs-métrages ? 

Je suis en train d’en écrire un autre qui ne sera pas lié à la danse. L’expression des corps fera toujours partie de mes films, mais l’idée est avant tout de raconter des histoires.

Je veux amener l'énergie de la danse là où il y en a besoin.

Quant aux critiques, je suis habitué. Je suis médiatisé depuis mon adolescence. J'ai rencontré des hauts et des bas, appris à me défendre et à affronter la presse.

Après le L.A. Dance Project lancé il y a plus de dix ans à Los Angeles, vous avez créé en février dernier un projet artistique, éducatif et social, baptisé Paris Dance Project. Une nouvelle occasion pour vous de défendre la mixité sociale et la diversité culturelle…

Ce projet est né de ma rencontre avec Solenne du Haÿs Mascré, il y a quatre ans lors de la présentation de «Roméo et Juliette» à la Scène Musicale, à Boulogne-Billancourt. Grâce à ce campus chorégraphique inédit implanté à Meudon, dans les Hauts-de-Seine, nous souhaitons amener l’énergie de la danse là où il y en a besoin, notamment dans les écoles et les quartiers dit prioritaires. C’est une formidable thérapie. J’ai commencé à travailler avec les apprentis d’Auteuil à l’établissement Saint-Philippe. Outre la volonté de faire découvrir la danse aux plus jeunes, nous souhaitons offrir, à long terme, des résidences en Ile-de-France à des artistes qui pourront raconter leurs expériences.

Accompagné du pianiste Alexandre Tharaud, vous vous apprêtez à remonter sur scène pour danser en solo dans le cadre des Nuits de Fourvière, à Lyon, du 13 au 15 juin. La création «Unstill Life» sera également présentée au Festival de Carcassonne le 2 juillet, et au théâtre des Champs-Elysées, à Paris, du 6 au 8 juillet. A 46 ans, comment vous sentez-vous physiquement ?

Mon corps suit, malgré les années. Je suis très heureux de danser de nouveau. Il faut simplement savoir être raisonnable, s’adapter parfois quand on ne peut plus réaliser un mouvement. Plus que la technique, je veux montrer cette maturité, et l’expression ne passe pas forcément par la virtuosité. On est davantage dans l’émotion, notamment dans mes échanges avec Alexandre. Petit, je rêvais d’être pianiste quand lui voulait être danseur. La vie en a décidé autrement.  

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