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«Dialogue avec Kennedy, rencontre avec le destin»

«J’ai eu mon scoop et suis reparti. Mais ce n’était pas un scoop, juste une fiction que j’ai eu envie de vous proposer, en ce 29 mai, jour où JFK aurait eu, effectivement, 100 ans, s’il avait plu, le 22 novembre 1963, à Dallas. Mais il avait fait très beau, ce jour-là».[CECIL STOUGHTON-WH PHOTOGRAPHS / JFK Presidential Library / AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

LUNDI 29 MAI

Il a 100 ans aujourd’hui, et j’ai obtenu un entretien exclusif avec lui. Ça n’a pas été facile, car le vieil homme ne reçoit plus personne, mais j’ai fait jouer quelques anciennes relations, et JFK, qu’on continue d’appeler «Mister President», a bien voulu m’accorder un peu de son temps dans la propriété familiale de Hyannis Port (Massachusetts). Le ciel est clair, l’océan passe du gris à l’émeraude, des mouettes tournent au-dessus de nos têtes, des cormorans aussi. Deux gardes du corps m’ont conduit jusqu’à Kennedy, centenaire assis sur un rocking-chair en bois couleur noisette. Toutes sortes de petites taches brunes parsèment son visage, et les rides se sont multipliées sur le front bombé au-dessus duquel les cheveux ont tourné à un blanc argenté, qui n’ôte rien à sa superbe d’autrefois. Mais c’est une autre beauté, celle de l’âge, du temps qui passe, celle d’un homme qui a survécu à tout, à la mort de ses deux frères, Bobby et Teddy, aux années de retraite, après son deuxième mandat (il a aisément été réélu en 1964), aux mille et un ouvrages consacrés aux révélations sur sa frénésie sexuelle ou sur ses liens avec la mafia.

– Je m’en battais un peu l’œil, voyez-vous. J’avais fait mon œuvre, établi une totale égalité des droits entre les Blancs et les Noirs, une relation véritablement pacifique avec les Russes, le désarmement nucléaire.

– Comment avez-vous vécu le «purgatoire» postprésidentiel ?

– Je me suis abstenu de toute déclaration. J’ai accepté de devenir le président de ma chère université d’Harvard, cela a duré près de vingt ans, et j’ai refusé d’écrire mes mémoires, malgré les incroyables sommes d’argent qui m’étaient proposées.

Kennedy parle lentement, les yeux à demi-clos, en cherchant un peu ses mots.

– Comment avez-vous pu arriver à cet âge, vous que l’on savait atteint de toutes les maladies ?

Le vieil homme émet un petit rire.

– Ah ! mais, mon cher, vous oubliez que la médecine a fait des progrès gigantesques à la fin du XXe siècle, puis maintenant au XXIe.

– Comment le voyez-vous, précisément, ce XXIe siècle ?

– Comme la révolution du temps et de l’espace. La transparence en politique. L’immense échec de l’homme face à la destruction de la nature. La surpopulation. L’imprévisible avancée technique.

– Comment jugez-vous vos successeurs ?

– Ils ont fait le job, plus ou moins bien. Je ne veux pas les juger, à part le tout dernier, ce Trump. Un cuistre. Une anomalie.

Derrière moi, une présence. C’est Jackie, les cheveux gris teintés de roux, la silhouette toujours aussi fine, vêtue d’un pantalon blanc et d’un chemisier à rayures bleues. Le charme opère, comme autrefois, avec ce même sourire distingué et une gravité dans la voix. Elle évoque les campagnes électorales, en particulier un voyage à Dallas (Texas), en 1963. Elle avait voulu accompagner son mari, pour la première fois, mais elle se souvient d’une pluie diluvienne, qui avait tout gâché.

– Oui, reprend le président. Il avait fallu mettre le toit sur la limousine, ce qui me privait du contact avec la foule. Dommage, car je tenais beaucoup à cette étape à Dallas.

Il me fait signe que je dois le laisser seul, d’un geste courtois de la main. Il ne se lève pas, et je comprends, alors, qu’il est paralysé des deux jambes.

– Au revoir, me dit-il. Si vous approchez votre nouveau président, souhaitez-lui bonne chance de ma part.

J’ai eu mon scoop et suis reparti. Mais ce n’était pas un scoop, juste une fiction que j’ai eu envie de vous proposer, en ce 29 mai, jour où JFK aurait eu, effectivement, 100 ans, s’il avait plu, le 22 novembre 1963, à Dallas. Mais il avait fait très beau, ce jour-là, et on avait décapoté la limousine…

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