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«Il faut inclure les mutilations sexuelles féminines dans les violences faites aux femmes», alertent deux médecins spécialistes

La gynécologue et obstétricienne Sarah Abramowicz et le chirurgien urologue Pierre Foldès, inventeur de l'opération permettant de réparer les dommages causés par l'excision. [DR./JEAN AYISSI/AFP]

En France, 125.000 femmes vivent en ayant vécu une mutilation sexuelle féminine, selon l’OMS. À l’occasion de la journée de tolérance zéro ce mardi 6 février, les docteurs Pierre Foldes et Sarah Abramowicz alertent sur la nécessité de ne plus voir ces mutilations génitales comme un «problème d'ailleurs», et de les intégrer parmi les violences faites aux femmes.

En ce mardi 6 février, journée de lutte contre les mutilations sexuelles féminines, la gynécologue obstrétricienne Sarah Abramowicz et le chirurgien urologue Pierre Foldes, inventeur de l'opération de chirurgie réparatrice pour les victimes d'excision, tirent la sonnette d'alarme sur le manque de visibilité de ces mutilations génitales, ainsi que sur le manque de formation des futurs médecins à la prise en charge des patientes victimes.

Tous deux travaillent main dans la main avec des associations comme Excision, Parlons-en, ou Djamma Djigui, pour assurer le meilleur suivi d'un maximum de victimes.

Pourquoi faut-il selon vous intégrer les mutilations sexuelles féminines dans le spectre des violences faites aux femmes pour faire efficacement avancer la lutte ? 

Dr Pierre Foldes : «Car dans le cadre des violences faites aux femmes, il y a beaucoup plus d’initiatives récentes. Par ce biais là, nous faisons beaucoup de formation dans tous les écosystèmes, auprès des gendarmes, des policiers, mais aussi des professionnels de santé».

Pourquoi n’est-ce pas déjà le cas ? 

Dr Sarah Abramowicz : Car l’excision est surtout vue comme une tradition, et il y a l’idée reçue que ça n'arrive pas chez nous, que ça ne nous regarde pas, et que l’on ne doit pas se mêler des traditions des autres pays. Pour les violences conjugales, par exemple, on ne peut pas dire que cela ne nous regarde pas, car dans l’imaginaire collectif c’est tout de suite universel. Il faut intégrer que l’excision est une violence sexuelle comme une autre, et qu'elle doit être combattue comme telle.

Pouvez-vous rappeler les dégâts causés par les mutilations sexuelles féminines sur la santé ?

Dr P.F : Sur le plan local, il peut y avoir des hemorragies et il y a 15% de risques de mort immédiate de la petite fille. Il peut également y avoir des blessures collatérales dans les cas où la victime tente de se débattre, ou la contraction d'infections comme le VIH pendant l'excision. Des problèmes urinaires peuvent survenir en raison d'un urètre qui peut être sectionné. Les mutilations sexuelles peuvent aussi causer des problèmes gynécologiques, des douleurs, une mauvaise hygiène ou un déséquilibre hormonal. Les problèmes obstétricaux peuvent aussi survenir avec de grands risques de déchirure pendant l'accouchement.

Les mutilations laissent aussi de lourdes séquelles psychologiques comme un syndrôme post-traumatique, un rapport difficile à son propre corps et à sa sexualité. La vie des victimes est lourdement affectée sur tous les plans.

Malgré plusieurs consultations gynécologiques dans leur jeunesse, certaines victimes n’apprennent leur excision qu’après leur accouchement. Comment est-ce possible ? 

Dr P.F : Ce sont des médecins qui n’ont pas été formés aux questions liées aux mutilations sexuelles féminines, qui ne figurent dans les programmes que depuis cinq ou six années. Certains d’entre eux n’ont pas la délicatesse de dire tout simplement qu’ils ne savent pas devant la victime, qui considère avoir affaire à un sachant. Il y a alors une forme de malaise qui s’installe et ne rassure pas du tout la victime.

Dr S.A. : C'est terrible, mais nous sommes à un tel stade de méconnaissance généralisée sur le sujet que si le médecin évoque l’excision auprès d’une patiente victime, c’est déjà «pas mal». Certains refusent de consulter des patientes et leur disent qu’elles ne sont pas «normales», d’autres font comme si de rien n’était car ils ne savent pas. Dire à une victime qu’elle est excisée est déjà un premier pas, car c’est déjà mettre un mot dessus. Il faudrait mieux former les médecins, surtout au niveau de l’orientation des victimes vers les professionnels adéquats.

L’excision est une violence sexuelle comme une autre et doit être combattue comme telleDr Sarah Abramowicz

Dr Foldès, vous avez inventé il y a plusieurs années une opération de chirurgie réparatrice permettant de reconstituer une partie du clitoris après une excision. En quoi consiste-t-elle ? 

Dr P.F. : C’est une opération qui dure trente à quarante-cinq minutes. Dans presque tous les cas, le gland est presque toujours intact mais il faut le retrouver, le débarrasser de ses parties cicatricielles, et le remettre à sa place. Il faut ensuite reconstruire les petites lèvres si cela est possible.

La désinfibulation est-elle aussi simple Dr Abramowicz ?

Dr S.A. : Il faudrait que toutes les sages-femmes puissent le faire lorsqu’il y en a besoin pendant un accouchement, où un gynécologue n’est pas toujours présent. Il est bien plus simple de faire une désinfibulation qu’infliger une épisiotomie.

L'opération de chirurgie réparatrice est-elle une fin en soi pour toutes les victimes ?

Dr S.A : Tout dépend de l'histoire personnelle de la femme ayant subi l'excision. Il y a énormément de paramètres qu'il sont extrêmement longs à lister. Certaines femmes ressentent le besoin d'être opérées, d'autres non. Ce sur quoi nous insistons avec le docteur Pierre Foldes, c'est qu'une prise en charge multidisciplinaire est impérative et indispensable.

Dr P.F : Il faut prendre en charge le syndrôme post-traumatique et les psychologues doivent être formés sur cela. Il y a parfois une discordance entre ce que dit la femme victime d'excision, et certains médecins qui vont parfois jusqu'à nier le traumatisme vécu. Il faut absolument croire les femmes.

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